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Libération
Chronique «Politiques»

La droite, force d’appoint

Les Républicains, héritiers d’une droite qui a longtemps dominé la Ve République, n’est plus qu’un parti de second rang, en pleine décomposition.
publié le 12 juin 2019 à 17h46

Pendant vingt-trois ans, de 1958 à 1981, le parti gaulliste a été le parti dominant de la Ve République. Fort du prestige du général de Gaulle et de la force, voire de la brutalité des institutions, il a littéralement structuré la vie politique, il a été l'épine dorsale du régime, le parti-roi. A partir de 1981 et de l'avènement de François Mitterrand, le parti devenu néogaulliste mais en réalité plus chiraquien que gaullien, s'est métamorphosé en un simple parti d'alternance. Dans une France alors bipolarisée, il a alterné au pouvoir avec le Parti socialiste jusqu'en 2017, durant trente-six ans. Banalisé mais toujours puissant. L'élection imprévisible, iconoclaste, impromptue d'Emmanuel Macron l'a fait depuis entrer dans une troisième phase. Aujourd'hui, la droite LR est devenue une force d'appoint, un parti de second rang, comme jadis les centristes sous le gaullisme ou le Parti communiste sous le mitterrandisme. Cette rétrogradation n'est pas forcément définitive mais elle est anxiogène. Sous la présidence d'Emmanuel Macron, c'est le Rassemblement national qui devient le parti d'alternance, La République en marche rêvant de devenir désormais le parti dominant.

Cette rétrogradation s’accompagne d’une décomposition. Le parti Les Républicains (LR) ressemble maintenant à l’Allemagne d’avant Bismarck : une juxtaposition de moyens ou petits royaumes, de principautés ambitieuses, de duchés autonomes. Xavier Bertrand, le meilleur tacticien, le laboureur le plus méthodique, a choisi l’indépendance. Valérie Pécresse, présidente de la plus riche région de France, une personnalité ambitieuse et cohérente, vient à son tour de claquer la porte à un moment étrange mais très révélateur du processus de décomposition. Les juppéistes ont rejoint depuis belle lurette Emmanuel Macron sous la houlette d’Edouard Philippe, un Premier ministre qui s’affirme, avec Jean-Pierre Raffarin en flanc-garde habile et influant. François Baroin, le plus populaire de ceux qui demeurent au sein de LR, sans doute le gaullo-chiraquien le plus authentique, règne en souverain aimable sur son apanage de l’Association des maires de France. Bruno Retailleau, le conservateur le plus structuré et le plus intellectuel, a repris le microparti de Fillon. Gérard Larcher manœuvre et infléchit depuis sa citadelle du Sénat avec une subtilité opaque. Laurent Wauquiez découronné se replie dans son donjon d’Auvergne - Rhône-Alpes. Ce n’est plus un parti mais une marqueterie ou un patchwork.

Comment en est arrivé là un parti qui fut longtemps hégémonique puis si robuste et si influent ? Parce que le socle idéologique et historique du gaullisme s’est progressivement fané. Parce que la confiance s’est brisée sur les psychodrames de l’affrontement sanglant entre François Fillon et Jean-François Copé, puis de la campagne accablante de François Fillon. Parce que les méthodes d’organisation, la mécanique partisane du gaullisme sont aujourd’hui caduques. Parce que LR est devenu un parti conservateur malheureux de sa mutation, nostalgique de ce qu’il fut. Parce que Laurent Wauquiez l’a replié sur une base absurdement exiguë, effaçant du lointain héritage gaulliste le principe cardinal du rassemblement et le sens de l’intérêt national au bénéfice d’un sectarisme pavlovien. Cette dégradation n’est pas une bonne nouvelle pour la démocratie. Outre qu’elle entrebâille la porte du pouvoir pour le Rassemblement national - Marine Le Pen en Salvini, le cauchemar -, elle stérilise tout une partie de l’électorat, elle émiette la droite classique, elle oublie la droite gaulliste, d’une certaine façon elle désacralise une famille politique ancienne et respectable, elle écaille et elle banalise.

Les élections municipales de l’an prochain lui offrent une occasion de reprendre pied. Les départementales et régionales de l’année suivante peuvent lui permettre d’afficher une figure cicatrisée. Après tout, LR reste de loin le parti le mieux enraciné localement, à l’échelle régionale, départementale et municipale. Encore faut-il que d’ici là elle ait choisi, ce sera en octobre, un chef de file crédible et marquant et non pas un prétendant à l’élection présidentielle. Encore faut-il que ce futur secrétaire général ou président soit un rassembleur et non pas un sniper, et qu’il sache présenter LR comme de nouveau un parti de gouvernement et non plus un robot mitrailleur. Encore faut-il que s’impose ensuite un présidentiable d’envergure dont le visage n’est en tout cas pas identifiable aujourd’hui. Encore faut-il que la lourde opération séduction de La République en marche n’accentue pas la désagrégation qui menace. La scène politique française actuelle ressemble à une fourmilière affolée. Les Républicains n’en sont pas les seules victimes mais ils apparaissent comme les seuls dépourvus d’alliés potentiels, sauf à passer un jour avec le Rassemblement national un pacte faustien dont ils seraient forcément les victimes.