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Chronique «Politiques»

Les ambitions européennes d’Emmanuel Macron

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Et si le Président devenait un accélérateur de l’Europe ? Pas impossible : bien qu’il soit affaibli à Bruxelles et Strasbourg, il reste le principal lanceur d’idées de l’UE.
publié le 19 juin 2019 à 17h26

Les ambitions européennes d’Emmanuel Macron sont contrariées, elles ne sont pas enterrées. Le président français n’est pas le seul chef d’Etat ou de gouvernement à avoir arboré les couleurs européennes durant sa campagne électorale. En Europe de l’Est ou du Nord, plusieurs de ses homologues en ont fait autant. Le clivage entre Européens et souverainistes est devenu si déterminant, si dominant partout sur le Vieux Continent que le combat politique se concentre de plus en plus sur ce terrain, pas seulement à l’occasion des élections européennes.

Emmanuel Macron est cependant celui des chefs d’Etats ou de gouvernements qui a voulu le plus spectaculairement placer sa candidature sous le signe d’une ambition pour l’Europe. A plusieurs reprises depuis son élection, ses discours d’Athènes, de la Sorbonne, d’Aix-la-Chapelle ont marqué. Ses propositions ont fait débat. Evénement sans précédent, huit petits pays (par la taille) menés par les Pays-Bas ont fait connaître leur opposition à son rêve bien français d’Europe-puissance et à son objectif d’intégration accrue au sein de la zone euro.

Autre précédent, Annegret Kramp-Karrenbauer, la nouvelle présidente de la CDU, une interlocutrice majeure, a pris la plume pour rendre publiques ses réserves vis-à-vis du projet européen d’Emmanuel Macron. L’union entre Paris et Berlin devient plus que jamais un combat. Le président français apparaît comme le principal lanceur d’idées au sein de l’Union, comme le porteur du projet le plus audacieux mais il suscite une véritable levée de boucliers. L’Europe passe pour ne progresser que face à des crises violentes. Malgré les dangers du Brexit et les périls de la politique commerciale de Donald Trump, malgré la puissance de la vague populiste et les risques croissants des choix italiens, le bond en avant préconisé par Emmanuel Macron se heurte donc à une forte résistance.

Certes, la nouvelle donne politique intérieure française, identifiée au lendemain des élections européennes, accorde à Emmanuel Macron une liberté de mouvement accrue. Les oppositions sont si affaiblies ou contradictoires, si déchirées ou déstabilisées que le Président peut reprendre l’initiative sur le terrain européen. D’ailleurs, la presse internationale ne s’y trompe plus qui, après avoir souligné que Marine Le Pen sortait victorieuse du scrutin, a constaté qu’Emmanuel Macron en était le véritable bénéficiaire.

Theresa May s’en va, Angela Merkel s’enlise et s’épuise, Matteo Salvini s’engage sur une voix périlleuse, le président français n’a plus de vrai rival. Il est sur ce terrain-là l’homme des idées neuves, l’hypothèse d’une nouvelle étape. Malheureusement, il comptait pour cela pouvoir s’appuyer sur un groupe parlementaire libéral-social où la délégation française, la plus nombreuse, pèserait d’un poids décisif.

Malencontreusement pour lui, l'inimitable maladresse de Nathalie Loiseau limite brusquement ses espérances. Non seulement l'ancienne ministre des Affaires européennes a été une tête de liste inadaptée mais, à peine arrivée à Bruxelles, elle a si vite choqué et braqué ses partenaires qu'elle a dû renoncer à la présidence du groupe libéral-social et même de la délégation française. Voilà un atout de moins pour Emmanuel Macron au moment où se négocie et se décide la répartition des nouveaux postes européens clés (lire pages 2-5). Consolidé à Paris, il est affaibli à Bruxelles et à Strasbourg.

Est-ce l’embourbement de son projet européen ? Pas encore, pas inéluctablement. Plusieurs mesures récentes, arrachées par Paris, esquissent au moins autant de petits pas en avant. Le cadre d’un projet de budget de l’euro est enfin posé, même si le contenu reste modeste et l’objectif, contesté. La France bataillait depuis longtemps pour cela. Le futur avion de combat franco-germano-hispanique a franchi sa première étape. Si l’armée européenne demeure une utopie, une défense européenne peut s’imaginer. Elle commence nécessairement par une industrie d’armement commune ou coordonnée. La priorité que constitue une recherche technologique européenne prend forme. Qu’il s’agisse de la transition écologique ou de l’immigration, de la fiscalité des entreprises ou de la lutte contre le terrorisme, la conscience d’objectifs et de moyens communs progresse.

Dans chaque cas, il s’agit plus d’une Europe de la nécessité que d’une Europe du rêve. Il n’empêche : face à l’unilatéralisme violent de Donald Trump et à l’appétit vorace de la Chine, l’impératif de réponses communes progresse. Emmanuel Macron, qui a déjà marqué un point par sa fermeté dans la négociation sur l’épilogue du Brexit, peut donc, comme plusieurs présidents français avant lui, devenir un accélérateur de l’Europe. A condition de parvenir à rassembler des alliés en nombre suffisant. Ce qui n’est ni acquis ni chimérique.