Menu
Libération
Tribune

Pour reconstruire la gauche, l’écologie ne suffit pas !

La gauche en crise d'identitédossier
La gauche doit rassembler des catégories sociales différentes autour d’une option sociale-démocrate rénovée, plutôt que de rechercher son propre dépassement par une écologie politique incertaine.
Premier rassemblement des jeunes Français pour le climat, devant le ministère de la Transition écologique et solidaire, à Paris, le 15 février. (Photo Martin Colombet)
par Baptiste Bondu-Maugein, Arnaud Rohmer et Sophie Kaplan (pseudonyme), membres du Collectif Télémaque
publié le 25 juin 2019 à 18h40

Tribune. Pour une gauche qui aspirerait à gouverner, les résultats des élections européennes, paradoxalement, recréent l'espoir : si le Parti socialiste a subi un revers historique, la poussée écologiste et la défaite des «insoumis» démontrent qu'il subsiste un espace pour que renaisse un réformisme de gauche. Mais pour que cette chance puisse être saisie, des questions fondamentales, tant en matière de doctrine que de stratégie, devront être tranchées.

Tout d’abord, la gauche réformiste devra réaffirmer son ambition d’origine : rassembler des catégories sociales différentes autour d’un projet à vocation majoritaire fondé sur ses valeurs de justice et de progrès. Si elle abandonnait toute volonté de chercher à y intégrer les aspirations des catégories populaires, la gauche ne laisserait pas seulement aux populistes le monopole de leur représentation, elle romprait avec sa nature profonde. En somme, la gauche doit se reconstruire autour d’une option sociale-démocrate rénovée, plutôt que de rechercher activement son propre dépassement par une écologie politique dont la pertinence au regard de ces attentes reste plus qu’incertaine.

Evidemment, la lutte contre le réchauffement climatique et, plus largement, l’action face à la dégradation de l’environnement, longtemps négligées par la social-démocratie, s’imposent sans contestation possible. L’urgence écologique forme une toile de fond, comme l’étaient, pour certaines générations précédentes, les enjeux soulevés par la révolution industrielle ou la reconstruction de l’après-guerre. Cependant, préserver une planète habitable ne constitue pas en soi un projet politique de gauche : c’est un préalable qui laisse nombre de questions essentielles sans réponse.

Les préoccupations de nos concitoyens, notamment des catégories populaires et moyennes, sont souvent très matérielles – emploi, salaires, pouvoir d’achat, aujourd’hui logement et mobilité — loin du «post-matérialisme» qui séduit surtout un électorat urbain éduqué. La gauche est donc moins attendue pour inaugurer l’ère de la sobriété heureuse que pour endiguer la désindustrialisation, recréer des emplois de qualité et former les salariés dans un contexte de bouleversement technologique, redonner au plus grand nombre des perspectives durables d’amélioration concrète de leur situation. Pour cela, elle doit mobiliser d’autres leviers que la seule redistribution par l’impôt, y compris, si nécessaire, une «politique de l’offre» quand celle-ci permet de moderniser le système productif au bénéfice de tous. Elle doit également réinvestir les questions d’aménagement et d’investissement public à l’échelle des territoires, en recherchant à la fois la «justice spatiale» et l’approfondissement de la démocratie locale.

Dans ce tableau général, la transition vers des modes de vie soutenables constitue évidemment un fil rouge devant guider l’ensemble des politiques mises en œuvre. Mais la gauche aurait tort de faire de l’écologie son seul combat, absorbant tous les autres, ou même son étendard principal. S’il fallait choisir une thématique centrale, c’est la mise en avant de l’idée républicaine qui nous semble s’imposer, à condition de la concevoir comme un idéal vivant.

A lire aussi Convergeons !

La République comme nous l’entendons est un projet qui doit permettre de concilier des aspirations individuelles complexes, voire éclatées, et l’affirmation d’une volonté commune de «faire société». Face au schisme social et démocratique qui menace, la première des priorités est que la double promesse d’émancipation et de solidarité retrouve sa crédibilité, ce qui suppose de remettre les biens communs au centre de l’action publique et de tout mettre en œuvre pour lever les obstacles à la mobilité sociale. Enfin, il faut affirmer l’idéal d’une société décente où c’est la contribution au bien-être collectif par le travail qui serait valorisée et récompensée, plutôt que les logiques d’accaparement et de rente. Cela suppose de se doter d’une stratégie pour faire émerger, à terme, un autre modèle de capitalisme – tâche certes plus ardue que la facilité consistant à se complaire dans la dénonciation de ses dérives.

Apporter des réponses pragmatiques à l’aspiration au «mieux vivre» des catégories populaires et moyennes, conformément à la vocation historique de la social-démocratie, tout en reformulant une ambition collective pour le pays – celle d’une République émancipatrice et solidaire – telle devrait être, pour la gauche, la feuille de route d’ici 2022.

Baptiste Bondu-Maugein, Arnaud Rohmer et Sophie Kaplan sont les auteurs de la Gauche du réel: un progressisme pour aujourd'hui, éditions de l'Aube, Fondation Jean Jaurès, 2019.