Menu
Libération
Chronique «Politiques»

Une saison politique très particulière

Chronique «politiques»dossier
Affaire Benalla, gilets jaunes, «grand débat» et élections européennes : la France est en pleine métamorphose politique. Elle voit ce qui se défait, pas encore ce qui se construit.
publié le 26 juin 2019 à 19h26

La saison politique qui s'achève ne ressemble à aucune autre. Elle aura, du début à la fin, été profondément atypique, tout au long de ces quatre temps : l'affaire Benalla, les gilets jaunes, le «grand débat» et les élections européennes. En fait, elle clôture l'acte I de la présidence Macron bien plus qu'elle n'ouvre l'acte II, car elle achève et complète le processus de déconstruction du système politique traditionnel de la Ve République, bien plus aussi qu'elle n'amorce et n'annonce la reconstruction d'un nouveau système politique, prochaine phase qui débutera vraisemblablement avec la campagne des élections municipales et le débat sur les principales réformes à venir : retraites, PMA, territoires et proximités administratives, dépendance et proximité médicales. Ce sera pour la rentrée et la saison 2019-2020. En attendant, la société politique, la société tout court reste à l'état gazeux, intrinsèquement instable faute de nouveaux équilibres, de nouvelles structures, de nouvelles perspectives clairement définies. La France est en pleine métamorphose politique, elle voit ce qui se défait, elle ne perçoit pas encore ce qui se construit. En somme, la France est en transhumance politique mais ignore l'itinéraire à venir.

C’est ce qu’a démontré à quatre reprises la saison si particulière qui s’achève. Première phase, l’affaire Benalla, éclatant en juillet pour culminer à l’automne. On en fait une affaire d’Etat ce qui est à la fois disproportionné mais terriblement destructeur. Benalla, débrouillard et hyperactif durant la campagne présidentielle, s’est comporté comme un agitateur désordonné et irresponsable une fois entré au palais de l’Elysée. Son comportement, sur le terrain comme dans les locaux de la présidence, est profondément critiquable et manifestement immature mais ce n’est pas le Watergate ou les gendarmes de l’Elysée sous François Mitterrand.

En revanche, les conséquences politiques sont considérables. L’image d’Emmanuel Macron, jusqu’alors positive et originale, noircit aussitôt et tourne à la démythification. Le chef de l’Etat et ses collaborateurs ont totalement sous-estimé, durablement, l’impact de l’affaire. La communication du Président lui-même est désastreuse, ses décisions, inappropriées. Le Sénat, principal bastion de l’opposition s’en empare avec délectation. Ce qui séduisait ou intriguait chez Emmanuel Macron devient soudain pour les Français arrogance et autoritarisme. Le gendarme réserviste devient le grand déstabilisateur.

Deuxième phase, beaucoup plus substantielle et révélatrice, les gilets jaunes. Une forme de protestation populaire et spontanée qui, des ronds-points aux manifestations au cœur des villes, fait surgir une France profonde que l’on pressentait sans la mesurer, une France meurtrie, amère, hantée par un sentiment d’abandon et de marginalisation, une France profondément pessimiste qui redoute le monde qui vient et crie sa colère, parfois avec violence. Une France hors des clivages politiques traditionnels, loin des partis, des syndicats, des associations. Une France en jachère et en déshérence dont on découvre l’ampleur des difficultés. D’où la popularité tenace du mouvement, malgré ses dérives progressives.

Troisième phase, elle aussi théâtrale et inédite, la réplique vigoureuse d'Emmanuel Macron s'investissant personnellement dans une sorte de campagne psychologique, idéologique, pédagogique. Exercice sans précédent, avec virtuosité retrouvée et hardiesse confirmée. Elle intéresse une autre France, plus à l'aise dans le XXIe siècle, plus diplômée, plus adaptable, plus positive. A l'issue de ce tour de France inopiné et hors normes, largement relayé, amplifié, contesté par les chaînes d'information continue et par les réseaux sociaux (comme les gilets jaunes), deux France aux assises sociologiques très typées, comme un retour à un conflit de classes par des moyens inusités.

Enfin, quatrième phase, elle aussi sous forme de secousse tellurique, les élections européennes : participation à la hausse, surgissement d'une écologie rajeunie et transformée, confirmation de l'enracinement de l'extrême droite dans les milieux populaires mais résistance du macronisme, effondrement spectaculaire de la droite classique, désastre des insoumis, atomisation de la gauche, crépuscule des partis de gouvernement ayant structuré la Ve République. Fin d'une époque, redistribution des cartes, menace confirmée d'un populisme européen, résistance des europhiles sur tout le Vieux Continent, effacement des comportements traditionnels français. La République post-gaullienne, la République post-mitterrandienne s'éteignent. Une France inconnue s'esquisse sans encore se dessiner. Un vieux pays, un jeune Président, un archipel mais deux blocs, des clivages et des solidarités, des peurs et des espérances. Une autre France dont la silhouette va surgir.

Cette chronique reprendra à la rentrée.