Tribune. Vincent Lambert n'était pas mort depuis deux heures que sur le site du Monde paraissait une tribune signée Michel Houellebecq - quelle aubaine !-, intitulée «Vincent Lambert mort pour l'exemple». Elle était titrée en première page (en vis-à-vis d'une autre annoncée, de Jean Leonetti) : «Fallait-il tuer Vincent Lambert ?» Et un direct dans l'estomac, un. Prends ça, lecteur ! Citation, les guillemets nous en avertissent. Mais le choix de cette phrase choc accrédite l'idée d'un crime d'Etat.
Après l'arrêt de la Cour de cassation ouvrant la voie, cette fois sans discussion possible, à l'arrêt des traitements qui entraînerait la mort de Vincent Lambert, le sinistre feuilleton connut encore on le sait quelques rebondissements, qu'on aurait pu espérer évitables, n'était l'acharnement des parents Lambert : ouverture le 11 juillet d'une enquête en recherche des causes de la mort diligentée par le procureur de la République de Reims, à la suite des plaintes pour meurtre avec préméditation à l'encontre du docteur Sanchez et du CHU de Reims, puis autopsie. Le procureur précisa qu'il ordonnait cette enquête, extraordinairement violente tant pour Rachel Lambert que pour l'équipe médicale, «au regard du contexte tout particulier» de ce décès. Il insista sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'une enquête «pour tentative d'homicide». Son but : établir pour toutes les parties la «vérité judiciaire» quant à cette mort - au regard de la loi Claeys-Leonetti de 2016 telle qu'elle fut interprétée dans le cas particulier de Vincent Lambert -, en vue d'éviter qu'une plainte ultérieure ne contraigne à une «exhumation» du corps, cela, dit-il, «dans la logique d'un dossier qui n'a épargné personne». Ainsi le procureur anticipait-il, à demi-mot, que les parents Lambert pourraient se montrer capables de vouloir un jour ou l'autre déterrer leur fils, mus par l'idée fixe de parvenir à faire condamner ses «assassins» présumés. Hypothèse certes glaçante. Mais froide précaution judiciaire peut-être nécessaire.
Et à lire l’article écrit par Michel Houellebecq quelques jours avant la mort attendue de Vincent Lambert, fondant spectaculairement sur cette tragédie avant même que le défunt n’ait eu le temps de refroidir, on se dit que oui, sans doute, l’ignoble reste possible autour de sa dépouille.
Remarquons d'abord, puisque l'alibi de cette publication en fanfare est, on suppose, la nécessité du débat public sur les questions qu'a soulevées ce drame de onze années, que ce texte n'y contribue en rien. Car cet écrit inutile, dont l'indignité le dispute à la médiocrité, n'est en somme qu'une variation de plus dans l'interminable litanie accusatrice des parents Lambert et de leurs soutiens - petit frisson transgressif en prime (l'éloge de la morphine, en potion magique d'Astérix et tout aussi crédible). «Vincent est mort, tué par raison d'Etat et par un médecin qui a renoncé à son serment d'Hippocrate. […] Il n'aura été tenu aucun compte de la dignité de cet homme handicapé, condamné parce que handicapé. […] C'est un peu de notre humanité à tous qui s'en est allée aujourd'hui, tant cette faute ignoble qui ébranle les fondements de notre droit et de notre civilisation rejaillit sur nous tous», déclarèrent les parents après la mort de leur fils, (ils avaient pourtant fait savoir qu'ils observeraient silence et recueillement). Antienne reprise par l'inusable Christine Boutin : «Prions pour Vincent Lambert […] et demandons la miséricorde pour notre barbarie d'Etat qui ne laisse plus aucune chance à la vie.»
Michel Houellebecq ne dit pas autre chose, prière en moins : «Ainsi, l'Etat français a réussi à faire ce à quoi s'acharnait, depuis des années, la plus grande partie de sa famille : tuer Vincent Lambert.» La suite, d'une prose volontiers ordurière, est à l'avenant. De mèche avec une épouse criminelle et des médecins douteux, l'Etat, en la personne d'Agnès Buzyn - dont il n'est pas inutile de rappeler ici que le père fut un survivant de la Shoah -, a pour machiavélique projet de liquider les handicapés. Ça vous rappelle quelque chose ? Euthanazie en somme, mais juste insinuée. Et pourquoi ? Parce qu'ils coûtent «un pognon de dingue»… D'où cette exécution «pour l'exemple». Ou comment rendre les citoyens obéissants.
Notre Sage poursuit, expliquant que «personne n'a envie de mourir». L'écrivain sait l'usage des mots. Donc sait user du sophisme. Est-il question dans ce débat sur les conditions de la fin de vie d'avoir «envie» de mourir ? Ou d'avoir la liberté de décider de mourir ? La dignité, ce concept «vaseux», la dignité d'une vie humaine - autre chose que la vie tout court -, réside précisément dans le respect de cette liberté, qu'il appartient au droit de protéger. C'est un combat d'aujourd'hui, comme le fut et l'est encore celui pour la liberté de choisir de donner ou de ne pas donner la vie.
L'écrivain devrait aussi savoir qu'on n'atteint aucune vérité par des généralités. Il nous en sert pourtant à la pelle, de ces poncifs, évoquant sans rire «"l'état des mentalités", depuis quelques millénaires tout du moins». Formule du niveau d'une mauvaise copie de terminale, qui témoigne en tout cas d'une confondante méconnaissance de la réalité d'innombrables expériences singulières. Celle de Vincent et Rachel Lambert en est une, spécifique. Cette singularité est précisément ce qui nous touche et nous donne à penser.