Le partage de l’Afrique commencé à la fin du XIXe siècle n’est toujours
pas terminé. L’histoire de ces frontières créées à la hâte dans des
chancelleries européennes avec une connaissance quasi inexistante des États
africains est pourtant relativement bien connue. Cette méconnaissance des
réalités africaines par les Européens du XIXe siècle a conduit à une
délimitation souvent grossière (mais pas toujours) des colonies africaines,
tant sur le plan juridique que pratique, et a encore des conséquences aujourd’hui.
Pourtant, les frontières entre les différents empires coloniaux ont été
délimitées de manière relativement précise par des traités internationaux au
début du XXe siècle. Le travail pratique des commissions des frontières était
particulièrement important pour l’érection de points de repère physiques le
long des frontières internationales. Cependant, beaucoup de ces points de
repère ont disparu aujourd’hui. En outre, les frontières coloniales créées au
sein des empires coloniaux ont rarement été délimitées avec précision et leur
localisation peut s’avérer difficile. Par exemple, la frontière entre le Niger
et le Nigéria était mieux définie que celle entre le Niger et le Mali. La première
séparait une colonie française et britannique (voir ce que j’ai écrit sur le Borno) tandis que la seconde n’était qu’une limite entre deux colonies
françaises. Lorsque les pays africains sont devenus indépendants entre les années 1950
et 1970, les dirigeants nouvellement élus ont difficilement remis en question cet
héritage et des limites coloniales mal définies sont devenues des frontières
internationales. Malgré l'importance des idées panafricanistes dans quelques
pays et parmi la diaspora, les frontières coloniales sont restées intactes.
Créée en 1963, l'Organisation de l'unité africaine (OUA), malgré son nom, a
consacré leur existence. La résolution de 1964 de l'OUA au Caire « déclare ainsi solennellement que tous les Etats membres s'engagent à respecter
les frontières existant au moment où ils ont accédé à l'indépendance ». Les frontières
créées à la hâte en Europe à des fins coloniales deviennent ainsi en quelques
années des frontières internationales.
Afin de préserver ces frontières, l’OUA a toujours déclaré que ses États
membres devaient affecter une partie de leur budget à leur démarcation des
frontières. Cependant, cet engagement n’a pas réellement porté ses fruits. Les
difficultés économiques et politiques ont rendu ce projet irréalisable jusqu’au
début du XXIe siècle. C’est la raison pour laquelle l’organisation qui a
succédé à l’OUA, l’Union africaine (UA), a créé le Programme frontières de l’Union africaine à Addis-Abeba (Éthiopie) en 2007. Comme les deux tiers des frontières africaines n’ont jamais été
délimitées avec précision sur le terrain, sa tâche est colossale. Des progrès
ont déjà été constatés et à la fin de 2018, plus de 26 frontières africaines
avaient été délimitées par ce Programme frontières (4 700 km sur 83 500 km). De
plus, le Programme frontières a créé une dynamique pour ses États membres qui
ont signé un nombre considérable de traités, de protocoles d’entente et de
protocoles depuis 2007.
Tout comme pour l’UA en général, la résolution des conflits et le
maintien de la paix sont des objectifs évidents pour le Programme frontières et
l’un de ses principaux objectifs est de prévenir les différends frontaliers. Le
Programme frontières entend empêcher des différents frontaliers entre Etats membres
de l’UA. Par exemple, l’existence présumée de ressources en gaz naturel et
minérales à la frontière entre le Mali et le Burkina Faso aurait été à
l’origine de deux guerres courtes en 1974 et en 1985. Le conflit a été réglé
par la Cour internationale de Justice en 1986. Le Programme frontières aurait
donc pour but d’empêcher les institutions internationales de s’immiscer dans
les affaires africaines. Son rôle dépasse la simple technicité apparente de la
démarcation des frontières.
Les dimensions développementales et économiques du Programme frontières sont
extrêmement claires. Le Programme frontières n’hésite pas à utiliser un langage
inspiré par le consensus de Washington et cherche à promouvoir le libre-échange.
Les frontières ne doivent pas être considérées comme un obstacle, mais doivent
offrir des opportunités économiques aux communautés et aux États frontaliers.
Ses activités sont principalement axées sur les populations vivant dans les
zones commerciales des régions déchirées par des conflits. Par exemple, la
région frontalière entre l’Ouganda et la République démocratique du Congo.
L’UA et son Programme frontières sont officiellement responsables pour la
diffusion de la conception dite westphalienne des frontières et de la souveraineté.
Cette conception qui tire son origine d’Europe et du traité de Westphalie de
1648 revient à faire rentrer les pays africains dans un système international. Cette
intégration politique et économique qui rappelle l’Union européenne n’est pas
une coïncidence, le Programme frontières étant financé par la coopération
allemande (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit ou GIZ). Avec
plus de 47 millions d’euros investis dans le Programme frontières, les Allemands
et donc les Européens continuent toujours à influencer la création des frontières
en Afrique même si à la différence de la fin du XIXe siècle, les décisions sont
prises maintenant par les dirigeants africains membres du Programme frontières.