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TRIBUNE

PMA pour toutes : homos, hétéros, inégaux face à la filiation

Le projet de loi bioéthique impose aux couples de lesbiennes de procéder à une reconnaissance anticipée de leur enfant, contrairement aux couples hétérosexuels. Cette mesure inégalitaire consacre la figure symbolique de la famille hétérosexuelle reproductrice.
Des participant·e·s de la marche des fiertés parisienne brandissent une pancarte pro-PMA, le 29 juin 2019. (Photo Charles Platiau. Reuters)
publié le 25 juillet 2019 à 12h52

Tribune. Présenté devant le conseil des ministres en pleine canicule, le projet de loi bioéthique, et sa mesure phare, l'élargissement de la PMA pour toutes, constitue une avancée. Mais il témoigne en même temps de la difficulté du législateur à traiter l'homosexualité par le droit commun.

Vingt ans après l'adoption du pacs, le droit français n'arrive toujours pas à garantir l'égalité pleine des filiations. En tout cas, pour la filiation homoparentale par PMA, le gouvernement a tranché en faveur d'un régime spécifique. Il faut revenir aux années 70 pour trouver dans le code civil une différentiation des filiations : celle relative aux enfants nés hors mariage (enfant naturel) et dans le mariage (enfant légitime). Comme dans le passé, les enfants seront classés à l'avenir (si le projet est adopté dans l'état) non pas en fonction du mariage mais en fonction de l'orientation sexuelle du couple parental : tandis que pour les parents hétérosexuels continuera de s'appliquer la règle de la présomption, pour les couples des femmes se mettra en place un régime d'exception. La levée partielle de l'anonymat des donneurs de gamètes, l'accès aux origines biologiques et la mention de la forme de procréation dans l'acte de naissance constituent désormais la condition sine qua non pour accéder à la PMA pour toutes.

Si le traitement est égalitaire en matière de protection sociale, permettant le remboursement de la PMA par la Sécurité sociale, en revanche, sur le plan juridico-politique, ce traitement réservé aux lesbiennes constitue ce que l'on peut désormais appeler un «apartheid de la filiation». En effet, contrairement aux couples hétérosexuels pour lesquels la filiation s'établit automatiquement, pour les couples lesbiens, il faudra procéder à une reconnaissance anticipée devant notaire, laquelle apparaît dans les actes de l'état civil de l'enfant. Le gouvernement suit la proposition du Conseil d'État : «Cette option préserve le cadre actuel de l'établissement de la filiation pour les couples composés d'un homme et d'une femme et leur liberté de choix de révéler ou de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception.» La liberté est réservée aux couples hétérosexuels, considérés sûrement comme plus matures que les lesbiennes pour gérer les «secrets de famille».

Dérogation à l’universalité de la filiation

Ce traitement différencié n'affecte pas seulement les adultes, mais aussi les enfants : dorénavant, ceux issus d'une PMA hétérosexuelle auront moins de chances de connaître leurs origines que les autres. La question de l'accès aux origines me semble effectivement légitime, mais il faut alors qu'elle soit clairement dissociée de la filiation : la traiter dans ce projet de loi n'est nullement innocent.

Pour la première fois dans l'histoire du droit de la famille, le projet de loi introduit une dérogation à l'universalité de la filiation. Comment expliquer ce traitement exceptionnel fondé sur l'orientation sexuelle des parents ?

Depuis le débat sur le pacs, l'homoparentalité hante le droit civil de la famille et la manière de répondre à ce qui est considéré comme une forme trop atypique de parenté – trop éloignée de la nature – détermine le choix du gouvernement. Cette régression du droit civil de la filiation est le résultat d'un long combat idéologique favorisé par une expertise mobilisée dans le passé par la gauche socialiste, réactualisée par le rapport Touraine et cristallisée aujourd'hui dans le projet de loi. Il ne s'agit plus de brandir les vieux arguments conservateurs de la «Manif pour tous» («Un papa, une maman»), mais de préserver «l'ordre symbolique de la différence des sexes», pour reprendre la vulgate anthropo-psychanalytique qui a colonisé le droit civil de la filiation.

Imposition d’une figure masculine

Dans les années 70, Françoise Dolto était déjà favorable à la PMA à condition que l'enfant connaisse la vérité sur ses origines. Ce combat pour désigner (implicitement) dans la loi la nature homosexuelle de la filiation aura comme conséquence non seulement d'imposer une figure masculine au sein du couple lesbien (le Nom du Père de Lacan) mais aussi d'aggraver la pénurie des gamètes, car à l'avenir le donneur de sperme devra renoncer à l'anonymat (au moins partiel) et les premières à payer le prix seront les femmes. Pour contrer cette nouvelle forme de discrimination, la plupart des codes civils modernes interdissent explicitement l'indication dans l'acte de naissance de l'origine de la filiation.

Ainsi, l'article 559 du code civil argentin établit que «l'officier d'état civil doit rédiger l'acte de naissance de telle sorte qu'il ne soit pas indiqué que la personne est née hors mariage, qu'elle est adoptée ou qu'elle est issue d'une technique de reproduction assistée». De même, l'article 7.2 de la loi espagnole 14/2006, prescrit que «d'aucune manière, l'inscription dans les registres de l'état civil ne pourra faire apparaître des données à partir desquelles il puisse se déduire le type de procréation». D'autres pays comme la Belgique, le Canada ou le Royaume-Uni ont tout simplement appliqué la règle de la présomption de paternité pour permettre l'établissement automatique de la maternité de la conjointe de la mère. En dehors du mariage, le consentement à la PMA implique une reconnaissance de la filiation.

«A chacun sa famille, à chacun son droit», soulignait Jean Carbonnier dans son célèbre Essai sur les lois (1979) pour encourager le législateur à adapter le droit à l'évolution des mœurs. A cette vision du droit au service des individus et de leur manière de faire famille, le projet de loi bioéthique oppose une conception biologisante de la filiation. En imposant symboliquement la figure du mâle donneur de sperme aux couples des femmes, le projet de loi consacre la figure symbolique de la famille hétérosexuelle reproductrice comme structure à la fois individuelle et sociale : derrière chaque famille lesbienne se cache la figure masculine rassurante du géniteur.