Dans la petite commune de Genthod, assemblage de trois villages à quelques
pas de l’aéroport de Genève, un terrain de 4000 m2 accueille des oiseaux
blessés. Cygnes, chouettes, moineaux et autres habitants à plumes des environs
de la cité de Calvin y sont soignés après un choc, une chute ou une morsure de
prédateur, puis réapprennent, le temps qu’il faut, à voler de nouveau de leurs
propres ailes. Quand ils sont prêts, on les relâche.
Chaque jour, comme hors du monde – les visites sont interdites pour assurer
la tranquillité des oiseaux –, une équipe de choc fait tourner le petit
hôpital : Émilie la vétérinaire, aidée par Sandrine, opère les rescapés et
Paul, près de la retraite, élève des rats pour nourrir les rapaces. Le jeune
Antonin, fraîchement arrivé, se prépare à remplacer Paul et apprend à ses côtés
les ficelles du métier : prendre soin des rats, les nourrir et, surtout,
les faire se reproduire en quantité industrielle pour rassasier des volières
affamées.
On comprend vite que, des oiseaux blessés ou du jeune apprenti, les
premiers ne sont peut-être pas les plus vulnérables. Antonin, de retour d’une
longue convalescence et dont le corps ne répond pas toujours présent, doit lui
aussi réapprendre à vivre. Seul personnage fictif du scénario, il introduit un
élément de fragilité qui donne son sens au film.
Toujours à la bonne distance et avec sensibilité, la caméra de Maya Kosa et
Sergio Da Costa se pose dans les volières et dresse la topographie d'un lieu à
la fois rassurant et paradoxal. Car ce n'est pas la moindre des contradictions
que, pour réapprendre à être dans le monde, il faille le fuir
temporairement. En creux, ce havre de paix pour oiseaux et humains abîmés dit
la cruauté environnante et la difficulté pour les faibles – le seraient-ils même
temporairement – de trouver leur place. On pourrait arguer que le monde a
toujours été hostile, mais le refuge de Genthod offre un baromètre peu
réjouissant : les oiseaux échouent de plus en plus nombreux dans le centre
ornithologique, avec des blessures parfois inexplicables. Ils arrivent, nous
dit la voix off d'Antonin, «d'un monde qui n'est plus fait pour
eux», où des écosystèmes fragilisés mettent en péril la survie de
certaines espèces.
À l’heure où une part croissante de l’humanité se
barricade derrière des murs et des miradors et vit en archipel, c’est une tout
autre sorte d’île que filment Maya Kosa et Sergio Da Costa. Leur film nous aide
à inverser notre rapport au monde et à concevoir un type de lieu à l’opposé de
ce désir de murs contemporain. Dont les grilles ne serviraient pas à maintenir
les plus vulnérables à distance mais, au contraire, à les accueillir et les
préserver.
LÎle aux oiseaux, 2019 (réal. Maya Kosa & Sergio Da Costa)