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Blog «Géographies en mouvement»

Locarno 2019 (5): À l'abri du monde

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Près de Genève, un centre ornithologique recueille et soigne des oiseaux. Maya Kosa et Sergio Da Costa ont filmé le quotidien de ce lieu protégé du monde. Entre fiction et documentaire, 'L’Île aux oiseaux' offre une variation délicate sur les thèmes de l’hospitalité et de l’aide aux plus fragiles.
DR
publié le 14 août 2019 à 11h25
(mis à jour le 14 août 2019 à 11h28)
Dans la petite commune de Genthod, assemblage de trois villages à quelques pas de l’aéroport de Genève, un terrain de 4000 m2 accueille des oiseaux blessés. Cygnes, chouettes, moineaux et autres habitants à plumes des environs de la cité de Calvin y sont soignés après un choc, une chute ou une morsure de prédateur, puis réapprennent, le temps qu’il faut, à voler de nouveau de leurs propres ailes. Quand ils sont prêts, on les relâche.
Chaque jour, comme hors du monde – les visites sont interdites pour assurer la tranquillité des oiseaux –, une équipe de choc fait tourner le petit hôpital : Émilie la vétérinaire, aidée par Sandrine, opère les rescapés et Paul, près de la retraite, élève des rats pour nourrir les rapaces. Le jeune Antonin, fraîchement arrivé, se prépare à remplacer Paul et apprend à ses côtés les ficelles du métier : prendre soin des rats, les nourrir et, surtout, les faire se reproduire en quantité industrielle pour rassasier des volières affamées.
On comprend vite que, des oiseaux blessés ou du jeune apprenti, les premiers ne sont peut-être pas les plus vulnérables. Antonin, de retour d’une longue convalescence et dont le corps ne répond pas toujours présent, doit lui aussi réapprendre à vivre. Seul personnage fictif du scénario, il introduit un élément de fragilité qui donne son sens au film.

Toujours à la bonne distance et avec sensibilité, la caméra de Maya Kosa et Sergio Da Costa se pose dans les volières et dresse la topographie d'un lieu à la fois rassurant et paradoxal. Car ce n'est pas la moindre des contradictions que, pour réapprendre à être dans le monde, il faille le fuir temporairement. En creux, ce havre de paix pour oiseaux et humains abîmés dit la cruauté environnante et la difficulté pour les faibles – le seraient-ils même temporairement – de trouver leur place. On pourrait arguer que le monde a toujours été hostile, mais le refuge de Genthod offre un baromètre peu réjouissant : les oiseaux échouent de plus en plus nombreux dans le centre ornithologique, avec des blessures parfois inexplicables. Ils arrivent, nous dit la voix off d'Antonin, «d'un monde qui n'est plus fait pour eux», où des écosystèmes fragilisés mettent en péril la survie de certaines espèces.

À l’heure où une part croissante de l’humanité se barricade derrière des murs et des miradors et vit en archipel, c’est une tout autre sorte d’île que filment Maya Kosa et Sergio Da Costa. Leur film nous aide à inverser notre rapport au monde et à concevoir un type de lieu à l’opposé de ce désir de murs contemporain. Dont les grilles ne serviraient pas à maintenir les plus vulnérables à distance mais, au contraire, à les accueillir et les préserver.

LÎle aux oiseaux, 2019 (réal. Maya Kosa & Sergio Da Costa)