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Tribune

Vincenzo Vecchi et les violences policières impunies du G8 de Gênes : une justice, deux mesures

Alors que la justice italienne réclame l'extradition du militant italien altermondialiste, Vincent Bonnecase, chercheur en sciences politiques, témoigne des violences policières qu'il a lui-même subies il y a 18 ans, en marge du G8 de Gênes.
Devant le tribunal de Rennes, le 14 août. (Sebastien Salom-Gomis. AFP)
par Vincent Bonnecase, chercheur en Sciences politiques au CNRS
publié le 23 août 2019 à 7h05

Tribune. Le 23 août, la cour d'appel de Rennes doit se prononcer sur la remise à la justice italienne de Vincenzo Vecchi, ancien militant altermondialiste présent lors des manifestations contre le sommet du G8 à Gênes en 2001, à la suite desquelles il avait été condamné à douze ans de prison pour «saccages», peine à laquelle il avait échappé en s'enfuyant en France. Quand on se rappelle l'intensité des violences policières survenues lors de ce sommet et pour l'essentiel restées impunies, on ne peut être que frappé par le caractère inique d'une telle situation. Un manifestant y avait été tué d'une balle dans la tête. D'autres avaient été blessés dans la rue. D'autres encore avaient été enfermés dans une caserne, dans le quartier de Bolzaneto, où ils avaient subi ce que Franco Gabrielli, chef de la police italienne en 2017, a rétrospectivement qualifié d'actes de torture. Etant moi-même passé par Bolzaneto, je voudrais revenir sur ces faits, dont le souvenir rend d'autant plus criante d'injustice la menace qui pèse actuellement sur Vincenzo Vecchi.

Dans la caserne de Bolzaneto, je me rappelle un policier venu me chercher au début de la nuit dans une cellule où je venais de passer plusieurs heures. J’y avais été emmené depuis un hôpital, où l’on m’avait recousu la tête, à la suite d’un matraquage que j’avais subi alors que j’étais au fond d’une impasse et que je m’étais assis, les mains en l’air à l’approche des forces de l’ordre. Dans la cellule, j’avais dû rester face à un mur, les pieds et les mains écartés aux côtés d’autres compagnons d’infortune. Des personnes y entraient régulièrement pour me frapper le dos ou me cogner la tête contre le mur. Un médecin est venu me demander par deux fois si je risquais de m’évanouir, avant de m’appliquer des compresses de glace sur le front et de me faire reprendre ma position.

Actes de torture

Je me rappelle donc ce policier venu me chercher en cellule et m'emmener dans une cour. Il me dit: «Tu vas souffrir.» Je lui demandai pourquoi. Il me dit: «Tu as frappé Gênes, tu vas souffrir.» Il m'a alors tordu le bras pendant une période qui m'a paru très longue. Il répétait toujours le même geste, comme s'il voulait disjoindre le biceps du reste de mon membre. Il a parfois été aidé d'un collègue, en comparant si je criais plus fort lorsqu'on me tordait le bras gauche ou le bras droit. Il m'a également promené au milieu d'une rangée de policiers qui me donnaient des coups de pied. J'ai fini par être relâché, au milieu de la nuit, sans que nulle charge ne soit retenue contre moi.

Je me rappelle tout cela, et me souviens aussi m’être dit juste après, en repensant à ce policier, que je le retrouverais un jour face à un tribunal à qui je pourrais dire: «voilà, ce qu’il m’a fait.» J’ai porté plainte et, après de longues années de procédures, ai reçu une réparation financière de l’Etat italien à l’instar des autres personnes arrêtées à Bolzaneto. Mais le policier, que je n’ai jamais revu, n’a pas été poursuivi, pas plus que la plupart de ceux qui ont été impliqués dans des actes similaires.

Cela montre la différence de moyens que des autorités peuvent déployer pour retrouver les auteurs d’actes jugés illicites en fonction de l’importance qu’elles leur donnent. On est parfois surpris par la capacité d’une police à retrouver un individu dans le vaste monde où il a disparu. Vincenzo Vecchi, accusé d’actes de dégradation matérielle lors des manifestations de Gênes, a été retrouvé à Saint-Gravé, dans le Morbihan, où il menait une vie tranquille sous un autre nom depuis qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre lui par les autorités italiennes. Des policiers qui ont commis des actes de tortures à Bolzaneto, bien que se trouvant dans un lieu clos à des heures définissables, et sans avoir depuis lors changé de nom, de métier ou d’activité, n’ont pas été retrouvés.

Cela appelle aussi à considérer la dimension politique d’une procédure judiciaire, fût-elle placée sur le plan formel – puisque la justice française aura à se prononcer, le 23 août, non sur les faits eux-mêmes, mais sur la conformité de la procédure. Une telle décision ne peut être neutre au regard de la situation politique que connaît l’Italie, alors que l’extrême droite italienne, dont des représentants participaient déjà au gouvernement lors du G8 de 2001, a poursuivi son ascension. Elle ne peut pas non plus être neutre si l’on considère que la répression qui s’est déployée contre les rassemblements altermondialistes a incontestablement contribué à leur déclin, aussi rapide que fut leur essor après le sommet de Seattle en 1999. En remettant Vincenzo Vecchi à la justice italienne, la justice française participerait à cette injustice.