Laurence (1) est directrice d'une école primaire d'un quartier socialement mixte dans le XIXe arrondissement de Paris.
«On ne perçoit pas les inégalités d’emblée. Aujourd’hui, les enfants sont habillés et coiffés souvent de la même façon. Elles apparaissent petit à petit sous des formes variées. La fatigue par exemple. Des enfants tombent de sommeil car ils sont hébergés par le Samu social dans des hôtels d’urgence. Ou bien l’énervement, ou des comportements violents en classe, difficiles à gérer. D’autres enfants ont des problèmes de mémorisation, ils n’arrivent pas à fixer les apprentissages. Evidemment, il n’y a rien d’automatique. Disons que les inégalités sont parfois la cause de souffrance scolaire pour certains enfants .
«En tant qu’enseignant, on agit comme on peut. On n’a pas le choix. La mission de l’école, c’est de faire réussir tous les élèves. Il m’arrive de prendre rendez-vous pour un enfant en difficulté chez un orthophoniste… Je sais qu’il en a besoin pour y arriver et ses parents, parce qu’ils n’ont pas les codes de l’école ou qu’ils ne parlent pas bien français, ne peuvent pas s’en occuper.
«Selon le milieu d’origine, l’inégalité face aux difficultés scolaires d’un enfant est flagrante : les parents de milieu favorisé agissent tout de suite. Ils sont même proactifs, me demandent si leur enfant peut profiter du soutien personnalisé que l’on met en place pour les élèves en difficulté. Les parents dans une situation sociale difficile, au contraire, ont tendance à refuser l’aide. Ils peuvent même se mettre en colère parce qu’ils ont le sentiment d’être jugés comme de mauvais parents. Il faut expliquer, entendre leur colère aussi. Convaincre. Cela prend du temps. Des années parfois.
«Je répète aux jeunes enseignants qui passent dans mon école d’être très vigilants face à ce que j’appelle les "petites blessures scolaires". Parfois, un mot sur le cahier peut brusquer les parents, tendre une relation. Quand on demande un rendez-vous, certains répondent qu’ils n’ont pas le temps. D’autres raturent même la question de l’enseignant sur le cahier de liaison. Que répondre ? Faut-il rétorquer sur le même ton ? Je considère qu’il est de notre devoir de rétablir le dialogue par tous les moyens pour ne pas mettre l’enfant dans un conflit de loyauté. J’incite les enseignants à faire relire leurs réponses par un autre membre de l’équipe, pour garder ce recul indispensable.»
(1) Le prénom a été changé.