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Tribune

Le droit à l’islamophobie confine-t-il à l’incitation à la haine raciale ?

Face à la notion de l'islamophobie qui possède une forme de discrimination contraire au droit fondamental, un travail de fond reste à mener: celui de cultiver les liens du «vivre ensemble».
Lors d'un rassemblement à l'appel du Collectif contre l'islamophobie, après l'agression de deux femmes voilées à Argenteuil, en juin 2013. (Photo Albert Facelly pour Libération)
par Asif Arif, avocat et Mehdi Thomas Allal, maître de conférences à Sciences Po et responsable du pôle «Vivre ensemble» au sein du think tank «le Jour d'après» (JDA)
publié le 29 août 2019 à 11h17

Tribune. Lors d’une intervention controversée à l’université d’été de La France insoumise (LFI), Henri Peña-Ruiz a soutenu clairement «le droit d’être islamophobe», si «être islamophobe» signifie la critique de l’islam. Relayant les propos de nombreux intellectuels de gauche, qui dénoncent les tentations et les tentatives de certains islamistes de «coloniser» notre espace public, cette injonction n’est pas sans rappeler, par exemple, l’intervention d’Elisabeth Badinter qui disait, il y a peu, sur les ondes d’une radio publique qu’il ne faut pas avoir peur de se faire «traiter d’islamophobe».

Il convient de revenir sur ces assertions, qui ne cessent de faire polémique, afin d’éclaircir la notion d’«islamophobie», sans cesse renvoyée à ses origines. D’abord, cette notion n’interdit pas une critique objective ou subjective de l’islam en tant que religion : la critique des religions relevant de la liberté d’expression des opinions, personne ne tient à affirmer que l’on souhaite s’enfermer dans une société où toute critique de la religion est interdite ; il s’agirait, en effet, du retour au délit de blasphème.

Sans nous méprendre, donc, sur la définition matérielle que peut revêtir la notion d’islamophobie, il convient d’en rappeler les contours afin de la préciser. A notre sens, la notion d’islamophobie relève et révèle une forme de discrimination, qu’elle soit directe ou indirecte. On pourrait dire que l’on est en droit de critiquer le voile, le message qu’il renvoie, mais lorsque les polémiques confinent à interdire à des femmes de participer à la vie publique simplement parce qu’elles portent le voile, il s’agit là d’une forme de discrimination. Cette différence de traitement porte le nom d’islamophobie.

Comme la théorie du «grand remplacement» qui voit en l’étranger la raison d’être de nos problèmes contemporains – et elle est, en ce sens, purement et simplement xénophobe –, l’islamophobie vise à voir la raison d’être de nos inégalités dans l’islam, dans ses enseignements, dans le voile. Cette recherche infatigable de la polémique au moindre centimètre de bout de tissu sur la tête ou sur le corps finit par nous faire oublier que certaines femmes sont discriminées à l’embauche en raison du port du voile.

Appeler au droit à l’islamophobie dans ce contexte relève pour le moins d’une mauvaise compréhension de ce que sont les mécanismes de discrimination, et tout au plus d’une forme de mauvais goût. Car il convient de ne pas oublier qu’il est louable d’exciper des «arrangements raisonnables» de la notion de laïcité en vue de l’acclimatation des religions non catholiques à la société française, voire de mettre fin à l’exception française lorsque de tels sujets voient le jour, car il convient de remarquer que cette exception a de plus en plus tendance à nous isoler.

Elle nous isole sur le plan juridique, puisque les juridictions européennes ont reconnu le caractère discriminant du licenciement d’une femme voilée à la demande d’un client. Mais elle nous isole également d’un point de vue politique, puisque à de nombreuses reprises la France passe pour un pays en guerre contre ses musulmans, alors que ce n’est pas le cas, sauf à considérer les propos de certains idéologues sur ces questions.

Il faut donc savoir raison garder sur ces questions épineuses. Nous en appelons à Henri Peña-Ruiz, en tant que philosophe reconnu et ayant publié plusieurs ouvrages, pour qu’il appelle les Français à fraterniser, plutôt que de leur apprendre à être islamophobes. La réalité est que la France a, plus que jamais, besoin de cohésion sociale et d’un renforcement des liens du «vivre ensemble». Or, ce dernier ne se construit ni sur des polémiques stériles, ni sur des diatribes exsangues, mais bien sur un travail de fond.