Tribune. En France, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint ou ex-compagnon. Toutes les sept minutes, une autre subit un viol. Tous les ans, plus de 220 000 sont victimes de violences physiques et sexuelles. Le débat ne porte plus sur la réalité de ces violences ou la gravité de leurs conséquences pour l'ensemble de la société, mais bien sûr notre capacité collective à mieux protéger les femmes victimes. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils agir de façon efficace ? La loi est-elle suffisante ? De quels moyens supplémentaires doit-on se doter ? Elu·e·s locaux·ales et professionnel·le·s engagé·e·s sur le territoire, nous avons participé à la création de dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes qui ont prouvé leur efficacité. Cela reste néanmoins insuffisant, et nous sommes convaincu·e·s que l'action publique peut faire bien plus. Pour cela, nous avons des propositions.
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Dès 2002, nous avons été le premier département à nous doter d’un observatoire de lutte contre les violences envers les femmes, pour observer les phénomènes de violence et mieux les appréhender, mais également agir avec les partenaires du territoire : services de police, de justice, services sociaux, de santé, associations militantes… Des dispositifs expérimentés en Seine-Saint-Denis ont été généralisés sur le territoire national, comme le Téléphone grave danger, créé il y a dix ans, qui permet de protéger les femmes victimes de violence (304 femmes en ont bénéficié). Il s’agit de faire connaître ces dispositifs par des campagnes de communication et de sensibilisation régulière.
Peut mieux faire
Néanmoins, on le sait, plusieurs victimes de féminicides avaient porté plainte auprès de la police. On touche ici à l’un des problèmes majeurs : améliorer la formation des professionnel·le·s, encore insuffisamment nombreux·ses à avoir les bons réflexes. Ainsi, concernant le Téléphone grave danger mis à la disposition des femmes victimes de violences par la justice, sur les 880 actuellement disponibles en France, plusieurs centaines sont encore inactifs. On peut encore mieux faire ! A plusieurs égards, améliorer la loi apparaît également comme une nécessité, notamment pour faciliter la dissimulation des adresses à un ex-compagnon violent, interdire la garde alternée, aider à l’autonomie financière, au retour à l’emploi quand cela est nécessaire, ou encore pour faciliter la désolidarisation des dettes, indispensable par exemple pour accéder à un logement autonome.
Les violences faites aux femmes font, souvent, d’autres victimes : les enfants. Il s’agit également de généraliser les dispositifs pour les protéger, comme nous tâchons de le faire en Seine-Saint-Denis. Dans notre département, en six ans, 112 mesures d’accompagnement protégé ont ainsi été décidées concernant des enfants de plus de 3 ans, pour encadrer le droit de visite du père en cas de violences dans le couple. Ces violences vont parfois jusqu’au féminicide. Contre ces drames qui ont déjà fait 99 victimes cette année, nous avons lancé l’expérimentation, là encore unique en France, d’un dispositif de prise en charge des enfants témoins de violences conjugales ou de féminicides à l’hôpital Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois : le «protocole féminicide», toujours en lien avec notre observatoire départemental.
Un brevet contre le sexisme au collège
La violence envers les femmes étant en réalité un véritable problème culturel, ancré dans notre société toujours profondément patriarcale, il s’agit aussi de lutter contre ces violences dès le plus jeune âge. C’est pourquoi a été mis en place en Seine-Saint-Denis dès 2007 le dispositif «Jeunes contre le sexisme». Par ailleurs, nous avons manifesté notre disponibilité pour expérimenter le brevet contre le sexisme au collège, et nous restons sans retour du ministère de l’Education nationale à ce jour.
Expérimenter, innover, sont des impératifs dans la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est dans cet esprit que s’est constituée la Maison des femmes de Saint-Denis, au sein de l’hôpital Delafontaine, espace dédié aux femmes, et plus précisément aux femmes qui subissent des situations de violence, de maltraitance, d’excision ou encore d’isolement. Ces dernières trouvent ici une écoute, des soins, tout un ensemble d’activités avec un accompagnement personnalisé et de grande qualité, qui les aide à redevenir maîtresses de leurs vies.
Pour protéger les jeunes femmes, premières victimes de ces violences, nous ouvrirons bientôt en Seine-Saint-Denis, le premier lieu d’accueil ouvert pour femmes de 15 à 25 ans. Ce lieu, unique en France, accueillera des victimes de violences (mariages forcés, prostitution…) avec des professionnel·le·s à l’écoute. Elles auront notamment accès à des soins, à une assistance juridique, un accès à la contraception ou encore à l’IVG. Enfin, il s’agit de rappeler, tout simplement, qu’il faut donner les moyens aux associations qui travaillent auprès des victimes.
Gageons qu’avec ce Grenelle cessera le double discours du gouvernement, qui prétend faire de cette lutte la grande cause du quinquennat, tout en diminuant les budgets, entraînant une moins grande disponibilité des associations, voire la fermeture de certaines structures d’accueil. Nous sommes prêt·e·s à jouer un rôle actif dans ce qui, nous l’espérons, peut ouvrir une nouvelle ère contre les violences faites aux femmes. Nous voulons échanger sur les bonnes pratiques et les dispositifs que nous avons mis·e·s en place et qui mériteraient d’être généralisé·e·s à l’ensemble du territoire.
Le Grenelle annoncé ne peut être un énième rassemblement la main sur le cœur. Les propositions existent, travaillées par les associations, et plusieurs act·eur·rice·s sont prêt·e·s à les mettre en œuvre. Il s’agit à présent de tracer une feuille de route avec un calendrier de mesures à mettre en place avec les différents partenaires, notamment la police, l’éducation, la justice, et avec la société civile.