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Libération
Chronique «Résidence sur la Terre»

L’été en pente raide

Chronique «Résidence sur la terre»dossier
Un plongeur, en Allemagne, pendant un pic de chaleur au mois d'août. (CHRISTOF STACHE/Photo Christof Stache. AFP)
publié le 30 août 2019 à 17h06

Longtemps j’ai cru que l’été on faisait la trêve. S’établissait alors naturellement, dans la lenteur des jours, une sorte de pacte tacite : on ferait semblant d’être un peu moins con, au moins un instant, pour pouvoir profiter en paix des pins parasols et du sel sur nos peaux. Les douze adolescents ont été accueillis en héros à l’aéroport de Tel-Aviv, fin juillet. Ils étaient détenus à Chypre depuis une dizaine de jours, accusés de viol en réunion. Je pensais, bien naïvement, qu’une sorte de pause se mettait en place : OK, les gars, on a bien donné cette année, on a encore battu des records, mais les beaux jours arrivent, les politiques partent en vacances et des pays mirifiques se dessinent au loin, alors profitons-en, détendons-nous - avant de recommencer, à la rentrée, à nous mettre sur la gueule comme avant. Les jeunes Israéliens avaient filmé leurs ébats avant de les diffuser sur Internet. La victime, une Anglaise de 19 ans, a porté plainte pour viol. La bande d’amis a finalement été relâchée.«La Brit’ est une pute, la Brit’ est une pute», ont-ils entonné en sortant de l’avion. J’étais bien innocent : en réalité, l’été, on est encore plus affreux et plus sanglant. Pendant le reste de l’année, on a presque, parfois, l’impression d’avancer, on dirait même que les lignes bougent, mais l’été, ah l’été ! on se laisse un peu aller. Tueries à Dayton et El Paso, 31 morts. Donald Trump pose à côté d’un jeune orphelin dont les deux parents sont morts dans les attaques, sourire aux lèvres et pouce levé. L’été tout est permis, on s’abandonne à ses pires instincts, de toute façon personne ne regarde, alors allons-y.

Et puis l’été a cessé d’être cette étendue de calme dans laquelle on pouvait patauger, s’oublier, non, c’est fini tout ça. Il y a eu un changement de paradigme majeur : maintenant, l’été, ça travaille. La haute saison est dorénavant celle où ça se passe, chaleurs démoniaques et forêts qui crament, et nos apéros en terrasse inévitablement en pâtissent. Le mois de juillet 2019 a été le plus chaud jamais enregistré sur Terre. Du coup, ça y est, on commence lentement à capter ; c’est pas normal que les glaçons fondent si vite dans le pastis. Des centaines de dossiers du Giec, des milliers d’alertes de scientifiques, COP et autres sommets, OK, mais un bon coup de chaleur à la mi-août, c’est quand même autre chose.

L’été meurtrier n’est plus qu’un film et les choses se sont inversées : on tremble dorénavant de le voir venir. Le permafrost fond avec soixante-dix ans d’avance sur les prévisions. Des incendies ont embrasé trois millions d’hectares en Sibérie, des parties de l’Alaska et du Groenland, et ils ravagent en ce moment même l’Amazonie dans l’indifférence criminelle d’un président pyromane. On n’aura décidément plus de moment de répit, même pendant les vacances. Alors oui, il faudrait faire quelque chose, mais notre monde à nous est si doux, si léger. Est-ce qu’on ne pourrait pas plutôt en reparler l’année prochaine ?

Heureusement il y a une constance au milieu de tous ces tremblements : la France. Ah, la France ! Ses Lumières, inlassable phare dans la nuit du monde.

Le 23 juillet, Greta Thunberg est invitée à parler à l’Assemblée nationale du réchauffement climatique, comme elle l’a déjà fait un peu partout en Europe. Mais cette jeune militante effraie, elle fomente des mutineries et l’école buissonnière, c’est un agent orange aux mains d’institutions occultes. Alors, n’écoutant que leur courage, des dizaines de députés français décident de boycotter la venue de cette «gourou apocalyptique» qui a accompli plus de choses en un an qu’ils ne le feront jamais. On les avait rarement vus aussi remontés, et certainement pas contre la disparition de 60 % des animaux vertébrés en quarante  ans. Ils quittent donc la salle pour rejoindre leurs camarades sur les bancs de l’Assemblée nationale où ils votent alors en faveur des accords d’échanges bilatéraux entre la France et le Canada, le Ceta, unanimement reconnus comme dévastateurs pour l’environnement et l’agriculture.

Moment de bravoure de la classe politique française, qui ne cessera donc jamais d’être en avance sur son temps.

L’été, ah l’été ! (quel con j’étais), on ne fait pas du tout la trêve, au contraire, on est pire encore. On finit d’enterrer le monde qu’on a déjà foutu en l’air. Heureusement, l’automne arrive, ses douceurs, ses finesses ; tout devrait logiquement rentrer dans l’ordre.

Cette chronique paraît en alternance avec celle de Paul B. Preciado, «Interzone».