Peut-être qu’un jour on va me retrouver desséché comme un vieux pruneau, racorni… la peau sèche, bien sèche, comme celle d’une momie…entouré de bandelettes de papier...
<span class="s1">« On ne le voyait pas souvent. Si on avait su … Il ne voyait pas grand monde, je me demande s'il avait encore de la famille… » </span>
Jours après jours, le vieux tapis décoloré prend l’empreinte des humeurs et des pensées d’Emile : usé jusque à la trame.
Non, vous ne verrez rien ! Suis pas une attraction merde !
Ah la canicule ! Le bienfait des vieillards qui veulent finir comme des momies. Au poste, ils n’arrêtent pas d’en parler. Des cohortes de vieux et de vieilles tués par le beau temps ! D’habitude ce sont les inondations, les tremblements de terre, qui font passer l’arme à gauche à tous ceux qui ne peuvent pas échapper à la fureur des intempéries. Mais le beau temps !
Allez, assez radoté, c’est l’heure d’aller faire un tour.
Emile se lève, dresse son maigre corps de vieillard, passe entre les piles de journaux et se saisit de son petit caddie. Tout autour de lui des piles et des piles plus ou moins bien rangées occupent tout l'espace vital de la pièce. Dans le petit appartement, dans chaque pièce, le même spectacle : papiers, revues, journaux, entassés, empilés du sol au plafond. Les piles se succèdent et empiètent progressivement dans toute la pièce, dévorent tables, chaises, buffet… L'air libre est progressivement chassé de la pièce, chaque jour les nouvelles collectes réduisent un peu plus l'espace disponible. Une tanière chaude, qui le protège, dans laquelle il se sent en sécurité depuis la mort de sa femme. L'amoncellement ne laisse place qu'à des tranchées étroites qui dessinent les accès aux points vitaux de son petit appartement : le fauteuil, le frigo, les toilettes, le lit, la porte d'entrée.
<span class="s1"></span>- une demi-baguette, siouplait
Certains ne peuvent pas résister à la tentation s’ils passent près d’un présentoir de bonbons… Pour Emile, ce sont les journaux : quel que soit la taille, le contenu, la couleur… il ne peut s’empêcher de les attraper, pour ensuite, les empiler bien à plat dans son petit appartement.
Depuis quelques jours Emile n’est pas tranquille… Cette femme qui vient frapper à sa porte l’inquiète. Pourquoi insiste-t-elle ?
« J'ai le droit à ma tranquillité ! Je vais frapper à la porte des autres moi ? Mais qu'est-ce qu'elle se croit ? C'est peut-être une archéologue ? »
Il sourit.
«C'est peut-être une découvreuse de momies, mais elle arrive trop tôt… repassez dans quelques années… je ne suis pas encore prêt…. Hé, hé hé...»
Il ne sait pas que, pas très loin, dans un bureau de la mairie, on discute de son cas…
- Cela va faire 6 mois, il est urgent d'intervenir <span></span>- On fait comme d'habitude ? <span></span>- Oui, en douceur…
Dépité, il hésite, revient sur ses pas, en s’appuyant sur son caddie, réfléchit : pas d’autre choix que d’aller chez le serrurier pour chercher de l’aide.
La petite boutique cordonnerie-serrurerie-copie de clés en tous genres est un peu plus loin sur la gauche. Ce changement de programme ne plait pas à Emile, mais comment faire ?
L’artisan connait bien Emile. D’ailleurs, qui ne connait pas sa silhouette dans le quartier et sa manie de ramasser les journaux ?
- La serrure doit être cassée, ça arrive parfois. Je vais envoyer mon ouvrier, il va revenir… attendez ici, installez-vous… ça va prendre un peu de temps… de toute façon vous n'avez rien d'autre à faire… ne vous en faites pas. Tenez prenez un peu de thé… ça vous détendra.<span class="s1"></span>
Emile hoche doucement de la tête, il est toujours agacé par ce contre-temps, mais en même temps rassuré : il va pouvoir rentrer chez lui, ce n’est qu’une question d’heure… et puis somnoler ici ou dans son fauteuil… ce n’est pas si terrible.
<span></span>- Ho, ho, réveillez-vous… c'est bon, on vous a changé la serrure. Je viens avec vous.
Emile doit reprendre ses esprits. Il s’est assoupi. Combien de temps ? La lumière a changé. Il entend les paroles de l’artisan, mais ne réagit pas. Il lui faut quelques minutes pour reprendre ses esprits et sortir de la boutique en tirant le caddie.
Le retour semble long. Ses jambes ne sont pas bien vaillantes.
La clé tourne maintenant correctement dans la serrure de la porte d’entrée, il passe derrière le serrurier qui ouvre la marche, mais immédiatement quelque chose le trouble : la sensation de ne pas être chez lui …
Il a le souvenir de cette pièce, de son fauteuil près de la fenêtre, de sa table de la salle à manger, mais… où sont passés ses journaux ? Ses pare-chocs émotionnels construits jours après jour ? La pièce est vide, vide des amoncellements de revues et de journaux patiemment collectionnés… Plus un coin pour se cacher, où se sentir protégé… la lumière fait presque mal aux yeux, le vide est sidéral…
- Bon je vous laisse, et si vous avez un problème, revenez me voir… bonne soirée.<span class="s1"></span>
A peine sorti de l’appartement, son téléphone sonne …
- Oui, oui, tout s'est bien passé… il semble un peu sonné, comme d'habitude, mais dès demain ça ira mieux… De toute façon on n'a pas trop le choix. C'est sa liberté de stocker, mais ça met en danger tout l'immeuble… Bon, on se reparle dans 6 mois… Bonne soirée<span class="s1"></span>
Chronique inspirée de faits réels.