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Libération
TRIBUNE

Ce que révèle l’affaire Bridey sur le train de vie des élus locaux…

Certains excès dans les dépenses des élus nationaux, comme ceux de François de Rugy récemment, font la une des journaux. Il faudrait la même attention pour les élus locaux, dont le contrôle des dépenses semble très insuffisant.
Jean-Jacques Bridey à l'Assemblée nationale en mai 2018. (Photo Philippe Lopez. AFP)
par Aurore Granero, Maître de conférences en droit public Membre de l'Observatoire de l'éthique publique, coordinatrice du pôle collectivités territoriales
publié le 23 septembre 2019 à 16h58

Tribune. Verres de grands crus, huîtres, soins hammam, hôtels de luxe : les révélations concernant le député LREM Jean-Jacques Bridey, ancien maire de Fresnes (Val-de-Marne), ou encore Damien Castelain, président de la métropole de Lille (1) démontrent que la vie politique locale n'est pas exempte de critiques au regard de l'utilisation par les élus locaux de l'argent public.

Il faut dire que si des règles existent au niveau local s’agissant des indemnités de fonction des élus, des frais de représentation des maires ou encore du plafond d’indemnités, nombre d’entre elles sont floues et surtout peu contrôlées. Il revient principalement aux chambres régionales des comptes d’assurer ce contrôle mais, faute de moyens matériels et humains, il demeure très insuffisant et rarement suivi de sanctions.

Les cas Bridey ou Castelain révèlent plusieurs zones d’ombre qui appellent des propositions de réforme pour renforcer la déontologie de la vie politique locale.

Si des progrès ont été réalisés depuis quelques années, les marges de progression sont encore importantes. Les maires bénéficient, en plus de leurs indemnités de fonction, de frais de représentation. Or, il apparaît que certains élus ont une interprétation large des frais liés à l’exercice de leurs fonctions et exposés dans l’intérêt de la commune (achat d’articles de sport, de parfums, prestations assurées dans des instituts de beauté ou encore dépenses de pharmacie et chaussettes). Pour éviter ces «dérives», il conviendrait d’établir une distinction claire entre dépenses personnelles et frais liés à l’exercice de la représentation publique en édictant un décret retraçant les dépenses autorisées sur le modèle du référentiel établi par les assemblées parlementaires pour l’utilisation des frais de mandat des députés et sénateurs.

Les frais de restauration peuvent également s’avérer très élevés. Pourtant, là encore des règles existent mais certains élus demeurent quelque peu laxistes sur leurs justifications alors que d’autres ont un goût marqué pour de grands restaurants étoilés. S’il ne s’agit pas de jeter le discrédit sur les élus locaux qui peuvent parfois être amenés à inviter certaines personnalités importantes, il n’en reste pas moins vrai qu’un effort de transparence sur ces frais engagés sur le budget de la collectivité est nécessaire. Il est donc proposé de faire apparaître de manière claire et exhaustive, dans les délibérations des collectivités, les frais de restauration engagés par les élus dans le cadre de leurs fonctions.

Enfin, Mediapart révélait à propos de Jean-Jacques Bridey que celui-ci avait dépassé le plafond de cumul d'indemnités autorisé par la loi en touchant indûment 100 000 euros (2). Des failles dans la règle du cumul des mandats existent puisqu'il est encore possible d'être à la fois maire, président d'une intercommunalité et conseiller régional. Les élus peuvent alors cumuler leurs indemnités de fonction à hauteur d'un plafond fixé à une fois et demie celui de l'indemnité parlementaire de base. Ce montant est égal, au 1er janvier à 8 434,85 euros mensuel.

Si ce plafond peut d’abord sembler important (il est d’ailleurs proposé de le réduire au même niveau que l’indemnité parlementaire), il est surtout très difficile de le contrôler. En effet, toute délibération concernant les indemnités de fonction doit être accompagnée d’un tableau annexe récapitulant l’ensemble des indemnités versées. Or il apparaît que certaines collectivités «oublient» parfois de retranscrire ce tableau (3) ou que les élus locaux plaident parfois «l’étourderie». Il est donc important de modifier la règle du cumul des fonctions en précisant qu’un élu local ne peut être titulaire de plus de deux mandats et de mieux prendre en compte le mandat intercommunal.

Renforcer la transparence sur le train de vie des élus locaux et ajouter des règles d'éthique à l'actuel «statut de l'élu local», tel est un des objectifs de l'Observatoire de l'éthique publique. Il est à espérer que nos responsables nationaux se saisissent de ces questions dans l'optique des débats parlementaires relatifs au projet de loi engagement et proximité. Il appartient également aux élus locaux de s'engager davantage dans la transparence de l'utilisation locale de l'argent public, argument de campagne pour les municipales de 2020 pour ne pas perdre la confiance des citoyens dans leurs élus de terrain…

(1) Dans un article intitulé «Damien Castelain, un président tiré à quatre épingles… aux frais du contribuable», paru en juin 2018 et au regard du travail d'investigation fourni, Anticor a saisi le 28 juin 2018 le procureur de la République de Lille.

(3) Pour un exemple récent : CAA Versailles, 4 juillet 2019, n° 18VE00673.