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Libération
Chronique «écritures»

Qui n’a pas son amie noire ?

publié le 27 septembre 2019 à 19h11

Comment sait-on qu'on entre dans une période électorale ? C'est simple : le spectre du «Basané» est de retour. «Le Basané» est à l'élection ce que l'hiver est à Game of Thrones, incontournable. Impossible d'envisager l'un sans l'autre. Et que faut-il pour faire un «Basané» ? Rien de plus simple, il suffit de prendre le mot «migrants» qui devient rapidement «immigrés» qui devient rapidement «enfants d'immigrés» qui devient rapidement «enfants d'enfants d'immigrés». Une fois ce glissement opéré, il ne reste plus ensuite qu'à y accoler, au choix, les mots : «délinquance», «Arabes», «problèmes», «Noirs», «banlieue», «musulmans», «voiles», «jihadistes», «problèmes», «drogue», «radicalisation», «surpopulation carcérale», «échec scolaire», «problèmes», «allocations familiales», «kebab», «grippe aviaire»… En mélangeant bien, on obtient, alors, l'idée que toute personne non blanche n'est évidemment pas française et qu'elle devrait, le plus vite possible, rentrer dans un pays de son choix : la Noirie pour les Noirs, l'Arabie pour les Arabes… Enfin bref, tous les endroits lointains où ces gens à problèmes se sentiront beaucoup mieux puisque c'est «chez eux», laissant enfin les personnes pures (forcément blondes et sympas) vivre en toute quiétude dans leur paradis qu'elles nomment «chez nous». Quelle que soit l'époque ou le continent, on a toujours besoin d'un «Basané» chez soi, c'est pratique, ça permet d'en faire un repoussoir efficace qui permettra à tout un chacun de faire des campagnes électorales à moindres frais. «Le Basané» est à l'élection ce que l'ail est aux films de vampires, un classique. Que l'on soit déjà en exercice ou seulement candidat, que l'on soit président ou conseiller municipal, que l'on soit d'extrême droite, de droite, de gauche, ou ni de droite ni de gauche, chacun peut l'agiter comme un chiffon rouge. Selon les pays et les moments «le Basané» est «le Barbare», «le Slave», «le Juif», «le Rom», «l'Italien», «le Polonais», «le Tutsi», «l'Indien», «le Jaune», «le Noir», «l'Arabe», «le Yezidie», «le Rohingya», «le Ouïgour», «le Mexicain»… D'ailleurs, il fut un temps, pas si lointain, où on recommandait de ne pas héberger de «Bretons». On disait «Méfiez-vous des Bretons !». On disait : «Les Bretons sont sales, en plus ils parlent à peine le français.» On disait les prisons de femmes regorgent de «Bretonnes», c'est bien la preuve qu'il y a un problème avec ces gens-là.

Comment sait-on qu'on entre dans une période électorale ? Comme ces champignons toxiques qui sortent du sous-bois, des gens qu'on avait perdus de vue montrent à nouveau leur tête. Par exemple, Nadine Morano. Vous ne voyez pas ? Mais si, cette femme qui trouve que la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, est une «Sénégalaise très bien née ayant obtenu la nationalité française il y a trois ans… visiblement avec de grandes lacunes sur la culture française.» Nadine Morano. Mais si, celle qui pense que : «Nous sommes un pays judéo-chrétien, le général de Gaulle le disait, de race blanche, qui accueille des personnes étrangères.» Nadine quoi ! Mais puisqu'il ne fait aucun doute que cette femme aura micro ouvert sur tous les plateaux de toutes les chaînes d'info continue de France et des environs pendant au moins six mois, j'aimerais ici avoir une pensée émue pour une personne dont on parlera beaucoup mais qu'on n'entendra pas. Une femme que je n'ai jamais vue et que, pourtant, je connais bien. Un être admirable qui, à chaque campagne électorale, voit doubler, voire tripler, sa charge mentale : «L'amie noire» de Nadine Morano. Comme toutes les «amies noires», celle de Nadine se prépare à avoir de grosses journées. Elle sera convoquée dans chacune des phrases qui commenceront par : «Ces gens-là ne sont pas comme nous…» et se termineront par «…je ne suis pas raciste, d'ailleurs j'ai une amie tchadienne donc plus noire qu'une Arabe». Bien sûr, «l'amie noire» peut selon les circonstances et les besoins se transformer en «amie juive», «amie arabe», «ami homo», «amie lesbienne»… L'«ami transgenre» ne devrait pas tarder à arriver en rayon. J'envisage d'ailleurs d'inventer une appli qui permettra de se procurer un «ami électoral» de son choix en un temps record. #amibasané.com

Cette chronique est assurée en alternance par Jakuta Alikavazovic, Thomas Clerc, Tania de Montaigne, Sylvain Prudhomme.