Tribune. On sacrifie les quartiers populaires sur l'autel de l'ignorance. La maison brûle, c'est vrai. Mais pour certains aussi, elle s'écroule. Et l'on fait comme si cette réalité n'existait pas. Notre gouvernement détourne le regard – attitude aussi irresponsable que pyromane. Car les banlieues, ces périphéries urbaines qui ceinturent les centres-villes, sont pourtant les cœurs battants de notre pays.
Il y a deux ans, on avait toutes les raisons d’y croire : le 16 octobre prochain marque le deuxième anniversaire de l’appel de Grigny, l’appel au secours de maires, de responsables associatifs et de citoyens sur la situation dramatique des périphéries. Un appel qu’on a cru pouvoir avoir un écho – et des conséquences sur la façon dont sont menées les politiques dans nos quartiers. D’autant qu’entre-temps, les Etats généraux de la Politique de la ville menés par Jean-Louis Borloo avaient un projet ambitieux : faire un diagnostic précis de la situation avec des auditions de cadres associatifs, de militant·e·s, d’élu·e·s ou encore de citoyen·ne·s.
Mais, deux ans plus tard, à l’instar du grand débat national et du grenelle des violences conjugales, ce rapport a été soigneusement rangé dans un tiroir. Strictement rien ne s’est passé. Ou plutôt : on a continué d’enfoncer le clou. Alors que ce rapport appelait un véritable changement de paradigme et d’orientation, le gouvernement en place est allé plus loin dans le mépris, dans la polarisation de la société et dans la stigmatisation de nos quartiers ainsi que de celles et ceux qui y vivent.
Fidèle au concept du «en même temps» qu’il a su si bien populariser, le président Macron nous a copieusement gâté sur le sujet. Tout en faisant de la lutte contre les inégalités l’un des thèmes du dernier G7, il prend soin de jeter l’anathème sur ceux qui les subissent en premier lieu : un débat sur l’immigration, un débat sur l’interdiction du port du voile dans les sorties scolaires et une sortie de l’un de ses ministres sur l’islamisme qui empêcherait les petites filles de 3 ans de rentrer en maternelle.
Il suffirait de traverser la rue pour trouver du travail mais, en même temps, on supprime les contrats aidés et on réduit drastiquement le droit à l’assurance chômage. On se pose comme l’unique rempart à l’extrême droite mais, en même temps, le score du RN n’a jamais été aussi élevé à des élections que depuis que La République en marche est au pouvoir. On se donne comme objectif de n’avoir plus aucun sans domicile fixe dans les rues mais, en même temps, ce sont deux réductions coup sur coup de l’aide personnalisée au logement (APL), prévues en deux ans. Il n’y a pas d’argent magique pour les banlieues et les droits des femmes mais, en même temps, on peut trouver respectivement 5 et 1,5 milliards pour «la tech» et le service national universel.
Et pourtant… Le constat est plus inquiétant que jamais sans que cela n’interpelle nos responsables politiques et n’appelle à leur vigilance. Près d’une personne sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté dans les quartiers prioritaires. Ce sont plus d’une personne sur cinq qui renoncent à des aides comme les APL ou le revenu de solidarité active parce que les démarches administratives sont décourageantes. Ce sont 25% d’entre eux qui renoncent régulièrement à des soins de santé et le dernier rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, tire aussi la sonnette d’alarme sur ce point précis.
Balance ton plafond de verre et les mecs assis au-dessus !
En mars prochain, cela fera vingt ans que je vis en France. 20 ans de vie d’immigrée. Pendant que certains cumulent des mandats depuis vingt ans, nous, cela fait vingt ans qu’on cumule les galères, moi la première :
le chômage,
la misère,
l'isolement,
le sexisme,
le racisme
et le mépris de classe.
Cela fait vingt ans que je me torture l’esprit à comprendre les codes : quoi dire, quoi faire, quoi porter, où aller… Comprendre simplement les règles du jeu de cet horrible conditionnement à ce mythe qu’est la méritocratie. Lorsque ce n’est pas le plafond de verre qui se dresse au-dessus de nos bonnes gueules de métèques, c’est le sol qui va coller et qui va nous empêcher de décoller.
Comment ne pas être remplie de colère lorsque l’on entend notre président dire qu’il sait la misère puisqu’il a vécu, étudiant, avec 1 000 euros par mois alors même que nos familles vivent, elles, aujourd’hui, avec le même montant ? Comment continuer à respecter ceux qui nous disent que les quartiers prioritaires bénéficient déjà plus que le reste de la population des politiques publiques lorsque, dans certains quartiers, il n’y a même pas un bus qui s’arrête ou un centre social d’ouvert ? Comment ne pas avoir la rage d’entendre parler de travailler pour se payer un costard lorsque certains qui travaillent ne peuvent même pas se payer un paquet de pâtes à partir du 20 du mois ?
Une politique publique pour résoudre des problématiques systémiques sur le long terme ne peut se faire uniquement avec des techniciens et des dogmes sortis de Science-Po, de l’Ecole nationale d’administration et de l’Ecole normale supérieure. Encore une fois, contrairement à ce que disait Emmanuel Macron, la démocratie est bien dans la rue et si elle ne vient pas de là, ce n’est plus la démocratie.
A six mois d’une élection cruciale, locale et de proximité, il est impérieux que les deux seules urgences qui doivent nous occuper et être le cœur du projet des prochaines municipales et pour les six prochaines années soient la justice sociale et le climat.
Parce que nos cités sont audacieuses.
Parce que nos mères sont généreuses.
Parce que notre jeunesse est ambitieuse.
Parce que nos rues sont lumineuses.
Les quartiers prioritaires ne doivent plus n'avoir de prioritaire que le nom.