Tribune. Ils sont six, installés dans le nord-est de la Syrie, sur le territoire des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance arabo-kurde soutenue par la coalition internationale. Six camps, qui hébergent près de 100 000 personnes. Surtout des déplacés, c’est-à-dire des Syriens qui ont fui les régions les plus marquées par le conflit dans leur pays pour trouver refuge dans des zones plus calmes. On en compte au total 6,5 millions. Les réfugiés - ceux qui ont quitté la Syrie - sont quant à eux 5 millions, principalement installés dans les pays voisins : la Turquie, le Liban, la Jordanie et l’Irak surtout. En tout, un Syrien sur deux a déjà connu une migration.
Les camps de déplacés en Syrie du Nord-Est trouvent leur origine en 2014, lorsque commence la guerre contre l’Etat islamique. Dans le nord du pays, les Kurdes autoadministrent une région alors nommée «Rojava» où ils gèrent l’arrivée des populations arabes fuyant les zones perdues par le régime de Damas. L’administration kurde met en place un contrôle des flux : la création de camps de filtrage et de transit, où le passage demeure obligatoire pour entrer dans le territoire contrôlé par les forces armées kurdes (YPG), permet de sécuriser les zones. Les déplacés, contraints de rester dans les camps jusqu’à trouver un garant, subissent un contrôle à l’intérieur même de leur pays, comme s’ils avaient franchi une frontière internationale. Une fois sous la responsabilité d’un garant local (famille, ami ou employeur), ils s’installent en ville ou, via un réseau de passeurs, poursuivent leur parcours vers la Turquie et potentiellement l’Europe.
Des centaines de milliers de personnes transitent par ces camps, qui rythment les parcours migratoires en deux temps : la phase où ils s’y rendent ; puis celle où ils se réinstallent, soit en Syrie sous administration kurde, soit dans un pays étranger. Dans les six principaux camps sous contrôle de l’administration autonome, on a compté 551 500 entrées et 499 000 sorties d’août 2014 à décembre 2018, selon l’administration locale. Entre mars 2018 et septembre 2019, près de 41 000 personnes se seraient réinstallées en Syrie ou en Irak ou à l’étranger.
Des six camps sous contrôle des FDS, celui d'Al-Hoz est le plus peuplé et le plus difficile à gérer. Sur 68 000 habitants, il abrite 41 % de déplacés syriens, mais aussi 45 % d'Irakiens, qui ont fui le conflit dans leur pays au cours des années précédentes. Tous poursuivent leur existence en côtoyant les familles des combattants étrangers engagés dans le jihad et qui n'ont pu quitter le pays. Car l'idéologie de l'EI y est prédominante : après la bataille d'Al-Baghouz, dernier secteur jihadiste à être tombé en mars, Al-Hoz a servi de lieu de rassemblement des derniers fidèles du «califat», les combattants et leur famille. Le camp devenant une «petite ville jihadiste», qualifiée de «bombe à retardement» par l'administration autonome. L'afflux de dizaines de milliers d'habitants issus des ex-territoires contrôlés par l'EI dans la zone sous contrôle des FDS pose la question sécuritaire, vu les risques d'infiltration de membres de l'organisation. Contrôler et gérer ces populations, parfois fidèles au califat jusqu'à la dernière heure, est un gage de stabilité. Sans l'aide financière de la communauté internationale, l'administration locale pourrait rencontrer des problèmes de gestion, et le risque est élevé que l'EI, qui se reconstitue déjà localement en Irak et en Syrie dans des zones désertiques (Anbar et Deir ez-Zor), fasse de ce lieu une base pour ses opérations dans les deux pays (1).
L’autre difficulté demeure la gestion des populations déplacées hors camps. Dans certains secteurs, comme autour de Manbij dans le nord de la Syrie, ils représentent la moitié de la population. Or, l’administration autonome manque de moyens pour leur assurer l’accès aux services primaires (santé, éducation, électricité). C’est dans la capacité à intégrer ces populations sans les faire basculer dans les rangs de l’EI que se joue la légitimité même du système administratif autonome et fédéral des territoires du nord de la Syrie, et à moyen terme son devenir.
(1) L'administration autonome sous contrôle des FDS utilise ce camp comme moyen de pression sur la communauté internationale pour obtenir financements et soutiens politiques.