Tribune. Dans ses éditions des 2 et 3 octobre, Libération s'est fait largement l'écho d'une très récente tribune signée dans le Monde par Jean-Louis Missika, adjoint à la mairie de Paris, chargé de l'urbanisme, et Alexandra Cordebard, maire PS du Xe arrondissement. Les auteurs y lancent un vibrant appel pour que la SNCF revoie son programme d'extension commerciale de la gare du Nord avec le groupe Auchan. Ils mettent en avant l'accueil et le confort des voyageurs qui doivent l'emporter sur l'équilibre financier de l'opération. Et d'appeler à ce que «tous les pouvoirs publics concernés (ville, métropole, région, Etat) assurent un financement public de cette rénovation». Ce serait aussi une manière, en réduisant la taille du projet, en unifiant l'investissement, et en désarmant les oppositions (la prise de position d'architectes et d'urbanistes du 3 septembre), de respecter l'échéance des Jeux olympiques de 2024.
Comment ne pas leur donner raison ? Avant d’être un lieu de chalandise et d’attractivité mercantile, voire ludique, une gare est d’abord, surtout dans une très grande ville, un équipement de transit et de mobilité urbaine. Et sans révérence particulière pour le sport professionnel commercialisé, ni fétichisme outrancier de la date, l’évènement mondialisé est souvent le moyen de débloquer les décisions, de lever les hésitations, de réaliser des projets qui dorment dans les cartons, parfois depuis plusieurs décennies.
Revirement
Mais il faut, pour en convaincre, continuité et conséquence du politique. Passons sur le revirement de l’équipe municipale qui faisait voter il y a trois mois par le Conseil de Paris un avis favorable à la rénovation de la gare du Nord présentée par la SNCF. Il est permis à tous, même à des élus en fonction, d’être soudainement éclairés, et de réviser un jugement. Mais il ne l’est pas de tenir un discours que ses actions effectives ont démenti.
Or, en la matière, les deux périodes de responsabilité, exercées par Anne Hidalgo, d'abord comme adjointe à l'urbanisme de Bertrand Delanoë de 2008 à 2014, puis comme maire de Paris depuis, ne témoignent pas d'un attachement sans limites à l'espace public de la capitale et à ses usages. Faut-il rappeler la piscine Molitor, joyau de l'hygiénisme et du sport social des années 30, cédé au groupe Accor pour la transformer, après 80 millions d'euros d'investissement, en hôtel spa de luxe (Mgallery) ? Faut-il à nouveau invoquer, à proximité immédiate, l'amputation irrémédiable du stade scolaire Hébert et d'une partie du jardin des serres d'Auteuil au bénéfice de la Fédération française de tennis, qui peut encore y organiser tout récemment, en dehors même des Internationaux de France de Roland-Garros, des «évènements» privés (défilés de mode Etam, Lacoste), qui limitent l'accès des promeneurs ? Et certainement moins connue, mais beaucoup plus grave dans ses conséquences urbanistiques à long terme, faut-il dénoncer la cession en toute propriété en 2010 au groupe Unibail-Rodamco, à un prix défiant toute concurrence en plein centre de Paris (1420 euros le m2), des 100 000 m2 du centre commercial des Halles (1) ?
Posture contre actes
Chaque fois, c’est le même argument qui est utilisé par Jean-Louis Missika dans sa tribune : l’insuffisance du financement public pour des investissements qui seraient pharaoniques (l’addition est passée de 250 millions à 1 milliard d’euros pour le Forum des Halles). Pourquoi ce qui était insupportable hier pour la ville devient soutenable aujourd’hui ? Serait-ce seulement parce qu’en période préélectorale, il faut montrer sa vertu et sa détermination ? Mais la confiance dans le pouvoir politique se gagne-t-elle sur l’opportunisme des postures plutôt que sur la continuité des actes ?
En cela, une juste cause risque d’être doublement altérée. La contestation d’un mauvais projet urbain peut devenir suspecte de visées politiciennes à court terme. Pire, elle entretient chez nos concitoyens l’idée mortifère que les élus ont une logique à géométrie variable, notamment sur la production de la ville : financiarisation implacable d’un côté, volontarisme triomphant de l’autre. L’idée de démocratie représentative n’en sort une nouvelle fois pas grandie.
(1) La Comédie des Halles. Intrigue et mise en scène, de Françoise Fromonot. Ed. La Fabrique, 2019.