Si des escortes, camgirls, et actrices porno en ligne croient être davantage épargnées des effets de la prohibition que les travailleuses du sexe occupant l'espace public, cela pourrait ne pas durer. La proposition de loi de la députée Avia contre les contenus haineux en ligne a inclus en première lecture un amendement visant à censurer tout «contenu illicite», ce qui pourrait signifier donner des pouvoirs à toute plateforme en ligne pour supprimer toute visibilité du travail sexuel.
Explication: L’amendement CL93 déposée par Mme Avia elle-même propose de compléter la liste des infractions justifiant à l’article 1 de la PPL de censurer un contenu en 24 heures. Sont notamment ajoutées les infractions de proxénétisme. Or la définition du proxénétisme est « d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui » ou bien « de faire office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère la prostitution d’autrui ». Cela signifie concrètement que toutes les annonces d’escortes seront visées!
Techniquement les annonces d’escortes sont déjà interdites par la loi, sauf que jusqu’à présent la plupart des sites sont soit administrativement basés à l’étranger, soit tolèrent un usage d’expressions codées pour que les travailleurSEs du sexe et leurs clients puissent continuer d’utiliser leur plateforme sans que ça ne se voit trop.
Ce n’était pas sans compter les nombreuses campagnes des prohibitionnistes qui portent plainte contre les sites Internet et font pression sur les politiques en demandant l’interdiction des sites. Le Mouvement du Nid est par exemple parvenu avec sa plainte contre le site VivaStreet à faire cesser sa section rencontres en 2018.
La nouvelle loi actuellement en discussion pourrait faire passer les pouvoirs d’interdiction d’un juge à une autorité administrative puisque le temps d’un procès en justice prend des mois voire des années. Cela créerait une pression beaucoup plus forte sur tous les sites qui pourraient très bien prendre les devants comme l’a fait Vivastreet en supprimant par eux mêmes tout contenu qui pourrait être considéré comme «illicite».
Les associations prohibitionnistes comme la Fondation Scelles applaudissent et appellent à l'équivalent de la loi FOSTA/SESTA inspirée par l'administration Trump aux Etats-Unis. Celle-ci a non seulement conduit à la fermeture des sections utilisées par les escortes de sites d'annonces comme BackPage ou Cragslist mais a aussi poussé à censurer tout contenu considéré comme faisant la promotion de la prostitution et de l'exploitation sexuelle sur Internet visant ainsi des blogs, forums ou des sites militants de travailleuses du sexe cherchant à se donner conseils et entraide. Des sites de webcams ou d'actrices porno ont également été fermés, sans compter les sites de transfert d'argent sur Internet qui utilisent toute excuse pour conserver pour eux les gains réalisés par les travailleuses du sexe en bloquant arbitrairement n'importe qui.
Le gouvernement est actuellement en plein travail d’évaluation de la loi de 2016 connue pour pénaliser les clients. Dans le cadre de cette évaluation, il affirme vouloir mieux lutter contre le «proxénétisme sur Internet», notamment pour répondre aux pressions des groupes prohibitionnistes mais également parce que la police constate un déplacement de certaines formes de travail sexuel vers Internet.
Monsieur Mégret, responsable de la Brigade de Répression du Proxénétisme confiait par exemple l'an dernier dans une interview au Point: « Cette loi n'a pas eu les effets escomptés, poursuit-il. Elle a surtout chassé les filles de la rue pour les faire passer dans des hôtels ou des appartements, et tout se passe désormais via la cyberprostitution. »
Le risque majeur est qu’au lieu de considérer que les politiques de pénalisation ne fonctionnent pas et ne font que déplacer les phénomènes en précarisant et en poussant à la clandestinité, on cherche à pénaliser encore plus parce que le nouveau problème du moment serait la «prostitution sur Internet».
Ce n’est pas comme si cette répression n’existait pas déjà, et ce qu’on constate, si on prenait la peine de demander leur avis aux personnes concernées, c’est que l’exploitation de la part des parties tierces s’empire, et qu’il devient plus difficile d’identifier les abus quand les contenus sont censurés.
Raison pour laquelle les responsables policiers eux mêmes sont très sceptiques quant à la fermeture de ces sites. Jean Marc Droguet, responsable de l’Office Centrale de Répression de la Traite des Êtres Humains (OCRTEH) écrivait en 2016 une attestation affirmant que Vivastreet collaborait avec la police depuis des années pour identifier les cas d’abus et d’exploitation.
Cela n'a visiblement pas suffi pour convaincre les prohibitionnistes qui préfèrent accuser la police de conflit d'intérêt.
Comme le souligne très bien la Quadrature du Net, dont on salue le soutien au passage, l'ironie de cette proposition de loi est qu'elle prétend défendre les minorités discriminées qui subissent des violences et propos haineux sur Internet, et que les travailleuses du sexe, un des groupes les plus discriminés de France, ne seront pas protégées mais seulement censurées et susceptibles d'être encore plus vulnérables à toute forme de violence et d'exploitation. La PPL Avia est attendue prochainement au Sénat et on s'attend au pire.