Tribune. La candidature de Sylvie Goulard, envoyée par Emmanuel Macron pour prendre le poste de commissaire européenne au marché intérieur et à l'industrie, a mis le feu aux poudres sur la place européenne. Son naufrage lors de l'audition par les députés européens rappelle l'urgence de mettre enfin en place un contrôle sérieux des conflits d'intérêts des commissaires européens et de revoir les standards éthiques de l'Union européenne.
Entre 2013 et 2016, alors qu'elle était députée européenne, Sylvie Goulard a été rémunérée plus de 10 000 euros par mois par l'institut Berggruen (un think tank américain), pour des activités floues dont on ne connaît toujours pas la nature exacte. Or le milliardaire fondateur de cet institut, Nicolas Berggruen, n'est pas un philanthrope bienfaisant et apolitique. Entre autres choses, il dirige un «fonds vautour», a un pied dans l'intelligence artificielle chinoise et la modification des génomes via The Berggruen Institute China Center, et sa famille s'est fendue d'un don généreux à la campagne d'Emmanuel Macron, accompagné de ses «amitiés» au candidat d'alors. Tout un programme… Sous le feu des critiques de tous bords politiques, la candidature de Sylvie Goulard à l'un des postes les plus puissants de l'Union européenne laisse deux questions en suspens.
Potentiels conflits d’intérêts
Premièrement, comment une candidate à la Commission européenne peut parvenir si proche d’un poste de premier plan sans que lumière ne soit faite sur ses liens avec des intérêts économiques privés ?
L’exercice vire donc rapidement à la mascarade politicienne, où chaque camp défend les candidats de son bord et cherche à couler ses adversaires. Résultat, ce sont la transparence et l’équité qui trinquent. Les poids lourds politiques, principalement d’Europe de l’Ouest, sont protégés alors que leurs conflits d’intérêts crèvent les yeux, à l’image du socialiste espagnol Josep Borrell qui conserve ses centaines de milliers d’euros d’actions chez Bayer (pesticides), BBVA (finance) ou Iberdrola (énergies fossiles). A l’issue de la procédure, les deux candidats qui ont pris la porte à cause de graves conflits d’intérêts viennent de pays moins influents (la Roumanie et la Hongrie), tandis que Sylvie Goulard a pu tranquillement éviter des questions pourtant cruciales sur ses liens avec l’institut Berggruen.
Garanties d’impartialité
Deuxièmement, est-il normal qu’une députée européenne puisse être largement rémunérée par des entités privées alors qu’elle est en fonction ? Les députés européens sont déjà très bien rémunérés. Pourtant, un député sur six déclare des activités annexes payées plus de 12 000 euros par an. Les trois quarts d’entre eux sont des hommes, et une très vaste majorité appartiennent aux groupes de droite et d’extrême droite. La défiance envers les institutions européennes ne vient pas de nulle part : l’éloignement est criant entre ce petit entre-soi de privilégiés et le quotidien de dizaines de millions de citoyens européens prêts à descendre dans la rue chaque semaine pour demander plus de justice sociale, climatique et démocratique.
La situation actuelle est insupportable. Et les deux questions posées, sur l’indépendance et sur l’éthique des dirigeants européens, appellent un débat ouvert et de nouvelles règles. Le groupe de la Gauche unitaire européenne, dont fait partie La France insoumise au Parlement européen, propose de créer une autorité indépendante de contrôle des commissaires et des députés européens, dotée de temps, de moyens et offrant des garanties d’impartialité. De telles autorités existent dans la plupart des Etats membres, à l’image de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en France. Elles sont la seule manière de garantir un examen rigoureux des conflits d’intérêts et d’établir des règles de bonne conduite collective, notamment sur la question des rémunérations annexes. Alors que la confiance des citoyens européens dans leurs institutions semble plus que jamais ébranlée, il est temps d’ouvrir sans tabou ce débat sur la transparence, l’indépendance et l’intégrité des dirigeants européens. Il est temps de mener le combat face à la toute-puissance des lobbys qui abîme tant la vie politique européenne. Il est temps que l’éthique prime enfin sur le fric.