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Libération
TRIBUNE

Une surenchère sans fin contre les femmes voilées

Alors que les musulmans ont globalement respecté la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école, la tension autour du voile n’est pas retombée. Pire : un lien dangereux s’est établi dans le débat public entre visibilité de l’islam et terrorisme, deux phénomènes distincts.
Photo d'illustration de deux femmes à Mantes-la-Jolie, en 2016. (Photo Eliot Blondet. AFP)
par Haoues Seniguer, maître de conférences en science politique à Sciences-Po Lyon, chercheur au laboratoire Triangle, UMR 5206, Lyon
publié le 17 octobre 2019 à 17h06

Tribune. A tort ou à raison, l'on pouvait espérer après le vote de la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux dans les écoles, collèges et lycées publics, un apaisement, voire un reflux des tensions autour du foulard dit «islamique». En toute bonne foi et pour commencer, chacun devrait pouvoir reconnaître que, dans les faits, les musulmans s'y sont généralement rigoureusement conformés ; ils ont globalement joué le jeu, et ce, bon gré mal gré. On ne peut à cet égard nier leur légalisme. Pour autant, objectivement, ce constat, rarement signalé d'ailleurs, n'a en aucune façon fait retomber le niveau de tension, de controverse et de polémique à répétition au sujet du symbole religieux (réel ou supposé) en question. Bien au contraire : un discours dépréciatif, sinon ouvertement prohibitionniste, s'est solidement installé dans le pays ; à ce propos, les querelles vont crescendo, a fortiori à chaque fois qu'un événement malheureux survient, en particulier des actes de violence commis au nom de l'islam. C'est précisément là où le bât blesse et, à ce titre, l'on devrait tous s'interroger un instant.

En effet, il faut impérativement souligner qu’un type particulier d’amalgame et de reductio ad «islamismus» pose toute une série de problèmes à la fois d’ordre analytique et moral qu’il serait long d’exposer ici en détail. D’une part, un lien éminemment insidieux est quasi systématiquement établi d’un côté entre visibilité de l’islam dans l’espace public, notamment au travers du voile, et de l’autre terrorisme et violences, comme s’il existait effectivement une causalité ou un continuum évident entre deux phénomènes pourtant parfaitement distincts. D’autre part, il est devenu récurrent d’indexer nos discussions sur le foulard sur ce qui se passe dans des pays notoirement autoritaires et répressifs qui, il est vrai, obligent des femmes, à la différence des régimes démocratiques, à porter un voile, à l’instar de l’Iran ou de l’Arabie Saoudite. En France, jusqu’à preuve du contraire, les femmes ne sont pas contraintes de le porter ni de le retirer, hormis en des lieux définis par la loi. Enfin, dans le débat public, on associe à tort et (surtout) à travers port du foulard et islamisme, lequel doit être compris comme une idéologisation de la religion musulmane aux fins de subversion de la République et de promotion de lois spécifiques aux musulmans. Soyons une fois de plus tout à fait clair sur ce point : nous ne nions pas que les Frères musulmans, néo-Frères musulmans ou (néo-)islamistes évoluant ici ou ailleurs sont d’une certaine façon obsédés par la visibilité de l’islam et le foulard. Ils ne sont objectivement pas les seuls obsédés du voile, puisque désormais nombre de ceux qui les combattent le sont tout autant. Force est d’admettre que le choix opéré aujourd’hui par beaucoup de celles qui le portent s’est largement émancipé et autonomisé de la matrice-tutelle islamiste originaire, en ce sens qu’il n’y a pas ou plus forcément, à la racine, de motivation idéologique dans la décision de revêtir un voile. Latifa Ibn Ziaten, la maman d’Imad Ibn Ziaten, le militaire victime du terroriste Mohamed Merah, ne peut aussi censément que décemment être soupçonnée d’une quelconque complaisance avec l’islam politique ou, pis, avec le jihadisme.

Les mamans voilées, pour ce que nous en savons, ne demandent pas un aménagement de la loi ou des lois propres pour accompagner leurs enfants ou des enfants en sorties scolaires ; elles s’en tiennent rigoureusement aux règles élaborées jusqu’alors par le législateur. Aussi, elles ne les contestent pas ni ne cherchent à les contourner ou, pire, à les pervertir. Ces femmes voilées demandent-elles des menus spécifiques pour leurs enfants en cantine scolaire ou un comportement particulier religieusement motivé lors de la présence de ces derniers à l’école ? Des menus halal ? Rien n’est moins sûr.

Beaucoup se sont émus, à juste titre, des déclarations du conseiller régional du Rassemblement national de Bourgogne-Franche-Comté Julien Odoul. Ce dernier s’en est virulemment pris à une femme voilée présente dans l’hémicycle du conseil régional le 11 octobre. Craignant d’être associés ou assimilés au diable, c’est-à-dire au parti de Marine Le Pen, ceux-là mêmes qui à longueur de temps dénoncent le port du voile, n’y voyant que l’empreinte de «l’islamisme politique», sont rapidement montés au créneau pour dénoncer les propos de l’élu d’extrême droite. Lors même que ce dernier ne fit, au fond, que pousser jusqu’à son ultime terme et logique la philosophie sous-tendue par celles et ceux qui polémiquent à longueur de temps, de fil Twitter et Facebook, sur le foulard. En effet, on ne peut pas d’une main alimenter perpétuellement un climat culturel de suspicion vis-à-vis des femmes voilées et, de l’autre, se plaindre ensuite des prolongements-surenchères politiques aussi malheureux que les derniers en date. Il y a une inquiétude qui monte chez les musulmans de France. A défaut de la comprendre, il faudrait peut-être commencer par l’entendre.