Vous pensez que le nord est forcément en haut d'une carte du monde? C'est que vous n'avez pas vu l'épisode 16 de la saison 2 de la série À la Maison blanche. Une imaginaire «Organisation des cartographes pour l'égalité sociale» y rappelle à quel point l'orientation des planisphères participe à inscrire dans notre inconscient géographique l'évidence de la supériorité du «Nord», c'est-à-dire des pays industrialisés d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord. Et donc à perpétuer cette supériorité[1].
C'est l'un des points de départ de Mad Maps, de Nicolas Lambert et Christine Zanin. Alors que la presse et les médias audiovisuels regorgent de cartes, les deux géographes-cartographes nous convient dans les cuisines cartographiques, où s'effectue la sélection parmi une infinité d'ingrédients. Car toute carte, derrière l'objectivité apparente des données statistiques et de leur représentation graphique, résulte de choix lourds de conséquences.
Cartographier, c’est choisir
À commencer par le choix du fond de carte: chacun a en tête la projection mise au point au 16e siècle par Gerardus Mercator, qui dessine un monde avec un gigantesque Groenland et une Afrique rachitique. Respectant les directions, un tel fond de carte est utile aux navigateurs mais altère les surfaces. Au contraire, la projection conçue par l'Allemand Peters donne aux continents une drôle d'allure mais rappelle que l'Afrique est quinze fois plus vaste que le Groenland et que l'Union européenne représente 3% des terres émergées.
Et quels pays mettre au centre, en haut, en bas de la carte? Sur le planisphère que nous connaissons depuis l’école, l’Europe trône au centre du monde, pendant que les cartes nord-américaines relèguent notre continent dans un coin. En 1946, l’ONU a tranché et opté, sur son logo officiel, pour un planisphère avec en son centre… le pôle Nord.
Cartographie engagée
La réalisation d'une carte est aussi et surtout affaire de choix des données et de leur représentation: «on ne peut pas tout y représenter, chaque carte devient donc un mensonge par omission». On peut par exemple décider d'insister sur les 300 000 migrants syriens arrivés en Europe en 2017, ou au contraire changer de perspective en cartographiant les 6,5 millions de Syriens accueillis par des pays du Proche-Orient – dont plus de 3 millions en Turquie.
Plutôt qu'une neutralité illusoire, les auteurs revendiquent, tout au long de l'atlas, le caractère situé de tout travail cartographique. «Une carte n'est pas le Monde, mais bien une «image», une «vision» de celui-ci», qui permet de «donner à voir le monde tel qu'on le pense». Elle résulte d'un travail de sélection des données, mais aussi du choix du thème traité et d'un objectif scientifique, politique, militant, pourquoi pas les trois.
La représentation-appropriation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, la mise en évidence des inégalités de richesse entre pays d’Europe, la cartographie des ouvriers et de leur relégation dans les périphéries des métropoles françaises, ou encore le dessin des 75 000 caméras de vidéosurveillance répertoriées par OpenStreetMap à travers le monde sont autant d’exemples de mobilisations de la cartographie comme outil de révélation et de contestation.
Un atlas engagé, donc, mais aussi placé sous le signe de l’humour et du jeu. L’ouvrage s’adonne à la barologie pour vous aider à dénicher un bistrot dans les métropoles européennes, manie le jeu de mots et le calembour et vous propose de confectionner un globe en origami. Riche en anecdotes, il vous fera aussi découvrir l’histoire d’Agloe, lieu imaginaire indiqué sur les cartes de la General Draft Company et devenu réalité. Car parfois la carte devient le territoire.
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La version française: