Menu
Libération
Chronique «Ré/Jouissances»

Interdire la coco, c’est ballot !

Chronique «Ré/Jouissances»dossier
Promenade envapée en bord de mer à la recherche des paquets de cocaïne naufragés, tout en songeant à la nécessité de légaliser et de médicaliser tout ça.
publié le 18 novembre 2019 à 18h21

Il y a un côté cadeau de Noël avant l’heure dans ce débarquement de ballots de cocaïne sur toute la façade Atlantique. Conditionnés avec soin pour résister à des voyages au long cours et à des immersions en eaux troubles, ces paquets d’un kilo viennent s’échouer au pied des sapins en bois flotté qu’à l’automne les tempêtes enguirlandent d’algues vertes et de goémons spongieux.

De Camaret à Biarritz, en passant par Bangor à Belle-Ile, la plage de Pen Bron à la Turballe ou les environs d’Arcachon, la dispersion est assez démocratique. Ça arrose large, ça dissémine équitablement, et c’est comme si la neige en flocon tombait dès novembre.

Si je m’écoutais, moi aussi, je chausserais mes bottes de sept lieues pour aller glaner ces offrandes maritimes comme le faisaient mes ancêtres naufrageurs qui accrochaient aux cornes de vaches mugissantes des lanternes trompeuses, avant d’aller au matin piller en toute innocence le butin abandonné par la marée.

Ce week-end, j’envisage de boucler mon ciré et de me faire allègre détrousseur de trafiquants coulés bas et jovial fraudeur de gabelous tentant d’enrayer une chasse au trésor humide sur un littoral immense.

Bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, j’irai en crapule frigorifiée valider mon ticket d’Euromillions, encapuchonné de plastique et poudré à frimas. Après tout, j’ai assez plaidé pour la légalisation des drogues douces et pour la médicalisation des dures de dures pour passer outre les interdits sporadiques des pouvoirs qui auraient mieux fait de prendre le problème à la racine au lieu de tout juste autoriser le cannabis thérapeutique. Je me contrefous d’autant plus des remontrances civiques des autorités élues que, droite et gauche mélangées, elles se sont révélées incapables de résoudre ce problème de santé publique. En toute inconscience répressive, elles ont préféré continuer à jouer aux gendarmes et aux voleurs, et ont laissé les cités s’enfoncer dans la relégation du deal.

Façon pêcheur à pied débarbouillé de toute moralité, je fourragerai avec mon havenot dans les mares, pour y dénicher un de ces crabes aux pinces d’or. Avec mon crochet de capitaine, je ramonerai les trous à congres, espérant rafler un de ces gros sachets de «blanche», pure à 83 %.

Si la chance me sourit, je me ferai vendeur à l’encan, près de la criée aux poissons. Classiquement, je fourguerai le gramme entre 60 euros et 100 euros. Auparavant, en bienfaiteur bienveillant, je l’aurai coupé d’aspirine et de paracétamol qui facilitent la descente quand d’autres gougnafiers y injectent du talc, du plâtre ou du lactose.

Seule ma cupidité me guidera car je ne suis pas consommateur de cette drogue prétentieuse, vindicative et ne souffrant aucune ironie. Je me méfie de ce booster qui ressemble tant à une époque qui part en vrille au moindre dérapage verbal, qui descend en droite ligne les déviants et qui lynche comme on sniffe, d’un seul éternuement. La coco d’aujourd’hui est raccord avec un monde où le communisme n’est plus celui des communards mais celui des communautés numériques. Elle pousse les paranoïas à se dresser en chevaux d’orgueils écumants et les névroses à mordre en singes éradicateurs les mains qui les nourrissent et les épaules sur lesquels elles perchent. A tout prendre, je préfère les produits amortisseurs qui endorment l’agressivité au risque de la vape amollie des déconnectés.

Au lieu d’arpenter le sable pas à pas tels ces chercheurs de gourmettes et de bagues de fiançailles qui font grésiller leur détecteur de métaux, il est possible que je réquisitionne un quad pour me catapulter de dunes en dunes et agrandir mon périmètre de reconnaissance. Ou alors, j’irai brasser l’écume en surfeur, certain que la symbolique de cette émulsion me facilitera le repérage et le recyclage de ces déchets, victimes d’une fortune de mer.

Sorti de l'eau, étrillé au tissu-éponge et rasséréné au rhum agricole et au vin chaud, je divaguerai dans les rues venteuses des stations balnéaires désertées en fredonnant Hors saison de Cabrel. Tout en croisant les camping-cars déglingués des post-babas venus pour la cueillette de coke comme d'autres vont aux palourdes, je me raconterai la Colombie productrice, les guérilleros des Farc reconvertis en cultivateurs de coca transgénique, les jets privés jusqu'aux Antilles, les convoyeurs de yachts de plaisance bourrant les couchettes cercueils de ces bons du trésor instantanés et l'ouragan Amélie coulant la «mule» nautique à l'entrée du golfe de Gascogne. Juste un instant, je m'interrogerai sur l'intérêt d'en finir avec la nocivité avérée d'un système qui génère tant de romans avec cocaïne.