Voilà un homme qui aime la droite. Et, donc, la châtie bien. Chroniqueur au Figaro, Guillaume Tabard s'est assis au chevet de ce courant longtemps dominant dans la Ve République, et qui n'est plus qu'un petit corps malade. Avec un sens aigu du récit, sans épargner personne, il conte la longue chute de cette droite dont on disait qu'elle était naturellement majoritaire et qui lutte maintenant pour la survie. Cette résistible décadence, dit-il, trouve son origine non dans le malheur des temps ou l'habileté de ses adversaires, mais dans ses propres errements, qui l'ont fait tomber en un long demi-siècle de Charles de Gaulle à François-Xavier Bellamy, du connétable impérieux de 1958 au candidat malheureux des dernières européennes, dont la stature fluette a produit un score calamiteux.
Certes les conservateurs peuvent invoquer le mauvais sort jeté par l'histoire. Opposée à la Révolution, la droite des origines, qui voulait faire tourner à l'envers l'horloge de la politique, a laissé la gauche s'emparer du culte du progrès et mettre de son côté l'espérance dans des jours meilleurs. Handicap permanent dans le débat public, qui pousse la gauche vers l'avenir et relègue ses adversaires dans un passé révolu. Puis, au milieu du XXe siècle, la chute honteuse de la collaboration, menée au nom de valeurs de droite (mais où l'on trouve aussi des hommes venus de la gauche) a jeté sur les conservateurs un long discrédit.
De Gaulle avait conjuré la malédiction en installant au pouvoir un bonapartisme républicain, qui ralliait derrière lui les conservateurs tout en proclamant qu’il dépassait les anciennes oppositions et défendait un programme social autant que l’autorité de l’Etat ou la grandeur nationale. La droite se camouflait et se régénérait dans le gaullisme, occupant le pouvoir pendant vingt-trois ans, de l’avènement du Général en mai 1958 à la chute de Giscard en 1981. Pourtant le ver était dans le fruit. Guillaume Tabard commence son récit par un épisode oublié : la rupture survenue entre De Gaulle et l’homme le plus populaire de la droite classique, représentant la bourgeoisie de province, populaire dans la France profonde pour avoir diminué les impôts et rétabli les finances du pays, Antoine Pinay. Ainsi, en dépit de la domination gaullienne qui laissait la gauche hors les murs, les deux courants classiques du bonapartisme et de l’orléanisme, droite populaire et droite bourgeoise, se brouillaient sans encore se combattre.
Le schisme n’allait pas tarder. Guillaume Tabard fait le récit coloré et précis de cette division, qui voit un Pompidou conservateur se séparer du Général finissant, dont il réprouvait les audaces sociales, puis Giscard, brillant sujet du libéralisme bourgeois, faire cavalier seul au sein de la coalition, pour ravir en 1974, à la mort de Pompidou, le sceptre détenu par les gaullistes en battant dans une campagne éclair un Chaban-Delmas maladroit et ringardisé.
Encore s’agissait-il de querelles d’orientations exprimées par de fortes personnalités qui défendaient chacune une version de la politique de la droite. Avec l’ascension de Chirac, qui trahit le gaullisme pour faire élire Giscard, puis lâche Giscard pour reprendre en main l’héritage pompidolien, les justifications idéologiques s’effacent au profit de l’ambition nue. Opportuniste sur le fond, Chirac inaugure une longue série de trahisons dont il fut le promoteur avant d’être la victime. Chirac fait voter Mitterrand pour se débarrasser de Giscard, devient Premier ministre en 1986 mais trouve aussitôt sur son chemin Barre qui handicape sa candidature. Battu sèchement par Mitterrand en 1988, il se met en réserve, gagne les élections en 1993 et laisse Balladur occuper Matignon. Las ! L’ambition personnelle submerge «l’ami de trente ans» et Chirac doit batailler le dos au mur pour s’imposer, avant d’être encore une fois trahi, sur la fin, par Sarkozy, lequel, après sa défaite face à Hollande, sera lui-même lâché et éliminé par Fillon. Une longue série de coups de Jarnac qui ont à chaque fois affaibli un camp qui se pensait appelé naturellement à gouverner et qui s’est progressivement dissous au fil des divisions.
Même s’il décrit ces tribulations avec alacrité, tout cela désole Tabard. Courageux, il tente un sauvetage. Pour redevenir un mouvement d’idées organisé capable de porter une femme ou un homme au pouvoir, il manque à la droite trois choses : des idées, une organisation, une femme ou un homme. C’est là où le propos est plus contestable. Guillaume Tabard conseille à la droite de s’appuyer sur les valeurs traditionnelles en matière de mœurs et les valeurs identitaires en matière d’immigration, d’éducation ou de culture. Pourtant il rappelle lui-même que ces idées étaient celles du jeune Bellamy, qui a emmené la liste LR à Waterloo. S’agissant d’organisation, il prêche l’unité. Celle-ci étant impossible avec les macroniens, qui veulent tuer la droite et non s’allier avec elle, la seule issue consiste à s’allier au Rassemblement national. Pour retrouver une position dominante, la droite rejoindrait les extrêmes. Mais son rapprochement avec les lepénistes serait l’alliance du pot de fer et du pot de terre. Autrement dit, Tabard nous donne un diagnostic brillant et vivant. C’est le remède qui laisse sceptique.