Mathilde Larrère: «Ces deux affiches ont été créées pour le référendum de 1958 défendu par les gaullistes, favorables à une République de type présidentiel, qui est celle que nous connaissons aujourd'hui. Le Parti communiste (PCF) s'y opposait, préférant une tradition plus parlementaire de la République, opposée au pouvoir personnel. Auparavant, quand ces deux conceptions de la République s'affrontaient, elles empruntaient des symboles différents ou, au moins, ne paraient pas Marianne des mêmes attributs visuels. Ici, les deux camps utilisent la couleur rouge, le bonnet phrygien… La Marianne de De Gaulle s'inscrit dans la tradition radicale. Pour le Parti communiste, il s'agissait de défendre la forme de la République : il a donc, logiquement, repris ces symboles.
«Plusieurs figures de Marianne ont toujours coexisté. Prenons l'exemple des statues sur la place de la République ou sur la place de la Nation : elles sont très différentes. La première est sage, cheveux attachés, sein couvert, immobile ; l'autre est révolutionnaire, cheveux détachés, sein découvert, et est en mouvement. Toute une série de codes, qui se sont historiquement construits, fait que n'importe qui au XIXe siècle savait identifier une Marianne radicale ou libérale. On a oublié ces détails. C'est le code radical qui a été accepté, mais complètement déchargé de son caractère subversif.
«On retrouve cette ambiguïté dans la photo où l’artiste Deborah De Robertis, le visage et le corps peints de gris et habillée en Marianne, fait face à une femme gendarme ; les médias, en commentant l’image, ont réinvesti l’idée d’une confrontation entre les deux Marianne. La presse en soutien au gouvernement actuel développait l’idée que la "vraie" Marianne était en réalité la femme gendarme. Manière de rejouer la confrontation pluriséculaire entre la Marianne révolutionnaire et la sage.»