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Interview

Déborah Cohen : «Le peuple n’est pas une essence. Il s’invente dans le mouvement, en marchant»

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Si le peuple déçoit souvent, c’est qu’on voudrait qu’il corresponde à notre imaginaire, prévient l’historienne. Nous voulons refaire ce qui a été fait dans le passé. Or le peuple du XXIe siècle pourrait être celui qui unit les diverses formes de domination à l’heure de la société postindustrielle.
Le 1er décembre 2018, à Paris, manifestation de la CGT contre le chômage et la précarité. (Photo Marie Rouge)
publié le 4 décembre 2019 à 18h56
(mis à jour le 4 décembre 2019 à 19h31)

L'assemblée des assemblées des gilets jaunes a appelé à rejoindre le mouvement contre la réforme des retraites initié par des syndicats. Profs, cheminots, mais aussi salariés du privé ou avocats manifesteront côte à côte ce jeudi. Est-ce «le peuple» qui défile ? Le mot semblait un peu dépassé. Au «peuple», on préférait «les Français», «la population», «les travailleurs», «les 99 %», «les gens». Mais depuis un an, «le mouvement des gilets jaunes a réactivé le peuple», estime l'historienne Déborah Cohen. Le «peuple des ronds-points», celui qui manifeste, qui s'insurge, le peuple qui fait peur quand il tague l'Arc de triomphe, qui scandalise quand il n'est pas assez écolo, ou parfois raciste et misogyne. Le peuple n'est jamais tout à fait comme il faut, note la maîtresse de conférences en histoire à l'université de Rouen. Si «le peuple nous manque», explique-t-elle, c'est parce qu'on le voudrait toujours comme on l'a vu et connu dans nos livres d'histoire ou nos mythologies politiques. Déborah Cohen a publié Peuple, dans la collection de courts et vifs ouvrages «Le mot est faible», aux éditions Anamosa. Elle revient sur ce qui fait peuple aujourd'hui.

Ce jeudi, les militants syndicaux habitués aux manifs classiques et les gilets jaunes qui rejettent toutes les représentations traditionnelles depuis un an défilent côte à côte. Deux visages du peuple qui convergent ?

Longtemps, ce fut assez simple : le peuple, c’était le prolétariat (le mot apparaît en 1832 sous la plume du journaliste Antoine Vidal, à propos de la révolte des canuts lyonnais), ceux qui ne possédaient pas l’outil de production, en gros, les ouvriers