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TRIBUNE

Gagner la bataille des retraites, une nécessité pour un rassemblement social et écologiste

Si le retrait du projet gouvernemental est l’objectif immédiat, il doit aussi être un point de bascule en vue de fédérer les franges populaires et progressistes du pays.
A Paris, le 5 décembre, jour de la mobilisation contre la reforme des retraites. (Albert FACELLY/Photo Albert Facelly pour Libération)
par Clémentine Autain et Elsa Faucillon, députée PCF des Hauts-de-Seine
publié le 6 décembre 2019 à 16h34

Tribune. C’est un déferlement, une vague de contestation historique. Une nouvelle séquence sociale et politique s’est ouverte. Alors qu’une année de ronds-points occupés par les gilets jaunes s’est écoulée, le chaudron est en ébullition : personnels hospitaliers unis comme jamais contre la mort programmée de l’hôpital public ; professeurs et directeurs des écoles rassemblés après le suicide d’une de leur collègue asphyxiée par la bureaucratisation du métier ; pompiers et urgentistes en grève depuis des mois pour obtenir davantage de moyens et de considération de leur hiérarchie ; électriciens vent debout contre la partition en deux de leur entreprise ; étudiants révoltés par l’immolation d’un des leurs, désespéré par trop de misère et de précarité ; personnels de Radio France en grève reconductible pour dénoncer les coupes sombres dans l’audiovisuel public… C’est dans ce contexte que s’inscrit le refus du projet gouvernemental sur les retraites. Alors que tous les piliers de la République sont fragilisés voire menacés, les services publics sont défendus par leurs agents. S’ajoutent d’exceptionnelles mobilisations citoyennes comme les marches pour le climat, l’impressionnant défilé contre les violences faites aux femmes, la manifestation inédite contre la stigmatisation des musulmans.

Si la question des retraites soulève si massivement les colères, c’est qu’elle concerne chacune et chacun d’entre nous. C’est aussi que la contre-réforme du gouvernement symbolise parfaitement la logique politique destructrice à l’œuvre depuis plusieurs décennies. Un mélange d’austérité et de néolibéralisme a conduit notre société à subir la précarité et la paupérisation, le démantèlement des biens communs et la concurrence de tous contre tous. Les conquêtes sociales sont patiemment remises en cause, au nom du dogme de la réduction des dépenses publiques et de la compétitivité. Le productivisme s’adosse désormais à un consumérisme débridé qui abîme la planète et nos désirs. La perte de sens et des savoir-faire avec la marchandisation de tout, même de celles et ceux qui travaillent à l’heure de l’uberisation, créé un climat et une réalité anxiogènes. Et nous devrions accepter que nos enfants vont vivre moins bien que nous. Depuis Margaret Thatcher, on nous martèle qu’il n’y a pas d’alternative. C’est insupportable. Ce qui se passe aujourd’hui en France, c’est un peuple qui relève la tête pour dire non à la grande régression qui nous est présentée comme inéluctable.

Entre le social et l’écologie

Après un XXe siècle qui a vu les espoirs communistes se fracasser sur les expériences de type soviétique puis les espérances de changements sociaux-démocrates déboucher sur de sinistres impasses, nous sommes au pied du mur. Ce qui émerge des mouvements sociaux est d'une vigueur impressionnante et donne le fil de ce qui doit être imaginé, travaillé, transformé pour devenir force politique victorieuse. Le mélange qui se cherche entre le social et l'écologie est l'une des clés de la réponse. Sécuriser les revenus, partager les richesses et les temps de la vie, remettre en cause le productivisme, développer les biens communs suppose de dégager une autre cohérence pour faire société, dépouillée des normes dominantes de recherche infinie de croissance et de profit comme d'individualisation de la «réussite» fondée sur le triste désir de parvenir. Il est temps de s'interroger sur nos besoins, de repenser l'articulation entre l'individu et le collectif, de relancer la dynamique d'égalité et de liberté. Et d'activer la démocratie. Une irruption d'humanité doit déborder la technocratie qui gouverne.

En France, comme ailleurs, nous mesurons à quel point le travail est encore devant nous. Bien sûr, nous ne partons pas de rien : des idées neuves circulent, des expérimentations politiques alimentent les possibles, le monde culturel bouillonne d'esprit critique et nourrit nos imaginaires, mais nous n'avons toujours pas mis en orbite le nouveau tout capable de fédérer les franges populaires et progressistes de notre pays. Les organisations de gauche et écologistes sont aujourd'hui balkanisées et affaiblies. La perspective commune reste à inventer. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé l'appel «Big Bang» au lendemain des résultats alertant aux élections européennes. Nous ressentons intimement et politiquement l'urgence à déjouer le duopole Macron-Le Pen, l'urgence à combler le fossé entre ce qui existe comme attentes et mobilisations dans le pays du côté de l'émancipation et le paysage politique. Le cadre que nous appelons de nos vœux n'est pas un simple cartel de partis, ni une union de la gauche à l'ancienne. Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est d'un outil neuf et rassembleur, un archipel politique et citoyen, social et écologiste, qui permette d'ouvrir un espoir politique face au pouvoir en place et à l'extrême droite qui menace.

Toutes les organisations de la gauche et des écologistes se disent solidaires du mouvement du 5 décembre. Parfois, ses leaders apportent de nouveaux arguments à l’édifice. Tous cherchent à contribuer à la contestation. Etre dans le mouvement, le soutenir, le renforcer, il le faut. Arracher le retrait de la contre-réforme des retraites est une nécessité, notre but immédiat, un point d’appui pour des victoires futures. Il n’en reste pas moins que la responsabilité première des forces politiques est de travailler à la perspective politique. Le peuple se mobilise d’autant plus et d’autant mieux qu’il peut se projeter dans un dessein global et qu’il sent tangible un horizon de changement.