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Blog «Ma lumière rouge»

Evaluation de la loi de 2016 pénalisant les clients, comment masquer un échec ?

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Ce que nous dit le rapport d’évaluation de la Fondation Scelles et de la DGCS du secrétariat à l’égalité femmes-hommes
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publié le 12 décembre 2019 à 10h55

En avril 2018, devait être publiée l’évaluation officielle de la loi par le gouvernement. Celle-ci est toujours en cours et est annoncée pour avant la fin de l’année. Il y a quelques semaines, une autre évaluation financée par la Fondation Scelles, organisation abolitionniste pro-loi, et le département à la cohésion sociale (DGCS) du secrétariat d’état à l’égalité femmes-hommes en charge de son application, était publiée sans pouvoir affirmer d’éléments de succès. D’après ses défenseurs, il serait encore trop tôt pour observer des effets positifs car la loi serait trop inégalement appliquée.

Les associations anti-prostitution se plaignent évidemment d’un manque de moyens, malgré un budget gouvernemental de 5 millions d’euros par an consacré au « parcours de sortie de la prostitution » et jamais entièrement dépensé faute de personnes impliquées dans ces parcours. Etaient prévues 1000 personnes par an entrant dans ces « parcours », or on se retrouve avec moins de 100 personnes par an. Pour comprendre cet échec, il est intéressant de lire ce que les promoteurs de la loi ont également à en dire et donc d’éplucher leur propre évaluation.

Dans son communiqué de présentation du rapport, la Fondation Scelles demande au Premier Ministre de « garantir que l’accès aux nouveaux droits créés par la loi d’avril 2016 (titres de séjour, aide financière, hébergement) ne soit entravé par aucune autre politique publique (migratoire, manque d’hébergements, maintien d’arrêtés municipaux anti-prostitution) ».

C’est sans doute ici que réside le cœur du problème, et qui aurait dû faire comprendre que la loi de 2016 était vouée à l’échec. Le Parti Socialiste alors au pouvoir n’a jamais eu l’intention de régulariser les sans-papiers, ou de lutter réellement contre la pauvreté, facteurs majeurs dans la décision d’exercer un travail sexuel. A la place, a été créé un dispositif hors droit commun, conditionnant l’obtention de droits (très précaires) à l’arrêt d’une activité légale et fiscalement imposable, et a été fait le choix de pénaliser les clients arguant que s’attaquer à la « demande » pour des services sexuels allait faire « disparaitre la prostitution », sans jamais considérer que cette pénalisation allait s’attaquer aux revenus des personnes et donc les rendre encore plus précaires et dépendantes de la volonté des clients.

Il était clair depuis le début, qu’aucun nouveau moyen allait être dégagé pour apporter des solutions économiques et matérielles à un problème social et que continueraient les politiques de pénalisation, puisque les arrêtés municipaux n’ont pas été explicitement interdits, et au contraire, ont été perçus par les maires, y compris socialistes et abolitionnistes, comme un moyen de remplacer l’abrogation du délit de racolage public au niveau national. Madame Vallaud-Belkacem a défendu les arrêtés anti-prostitution à Lyon, tout comme Madame Hidalgo à Paris, ou Rolland Ries à Strasbourg. En conséquence, par exemple à Lyon, de janvier à aout 2019, 9 clients ont reçu une amende, tandis que 7800 amendes ont été données à des travailleuses du sexe pour stationnement ou trouble à l’ordre public.

Les travailleuses du sexe s’exprimant contre la loi ayant toujours été considérées comme faisant partie d’un « lobby proxénète », leurs critiques, et la question de leurs conditions de vie et de travail, n’ont jamais été un intérêt du législateur. On retrouve ainsi la même logique dominer dans le rapport d’évaluation de la Fondation Scelles.

Alors que des organisations de travailleurSEs du sexe ont été auditionnées pour la rédaction de ce rapport, aucun verbatim ne ressort de ce qu’elles pensent. Il ne s’intéresse qu’à la mise en œuvre stricte de la loi, jamais à ses conséquences sur les conditions de vie des travailleuses du sexe. Seule la question de la santé est abordée puisqu’un article de la loi défend symboliquement le principe de réduction des risques. Mais dans ce cas comme dans d’autres, le rapport pointe le manque de données hors Paris permettant de faire un bilan. L’étude ne porte que sur 4 villes. Or, la pénalisation des clients se concentre principalement à Paris, où pourtant des données existent sur l’augmentation des contaminations, notamment chez les femmes trans travailleuses du sexe, mais cela n’apparait pas dans le rapport.

En revanche, de nombreuses citations de forces de l'ordre ou de la justice se retrouvent dans ce rapport d'évaluation et, de manière intéressante, corroborent ce que disent les travailleurSEs du sexe. Tous les policiers se plaignent de la pénalisation des clients, expliquant qu'elle ne représente aucun intérêt pour eux. L'interpellation des clients ne permet pas d'obtenir des informations pour identifier des réseaux de traite ou d'exploitation, et au contraire demande des effectifs, du temps, et de l'énergie, au détriment d'autres missions. Pendant ce temps, la « prostitution » ne semble pas diminuer. Suite à une enquête, le ministère de l'Intérieur a annoncé que nous étions passés de 40 000 à 50 000 'prostituées' en deux ans, information relayée dans le Parisien le 29 novembre dernier.

Les associations de travailleurSEs du sexe ou de santé communautaire sont rarement parties prenantes du « parcours de sortie ». Des associations ad hoc sont donc créées pour faire de l’accompagnement à la « sortie de la prostitution » sans qu’elles n’aient de contact préétabli avec les personnes censées être accompagnées. Il ressort du rapport de la Fondation Scelles que dans de nombreux départements, des associations n’ayant aucune connaissance des industries du sexe obtiennent des agréments sans qu’aucune personne ne soit suivie ou accompagnée pour un « parcours de sortie ».

L'identification des travailleuses du sexe serait même encore plus difficile à cause de la pénalisation des clients puisque de nombreux déplacements de scènes de travail sexuel ont cours, notamment vers des annonces sur Internet. Pour rappel, le Commissaire Jean-Paul Mégret, à la tête de la Brigade de Répression du Proxénétisme (BRP), déclarait dans Le Point du 06 septembre 2018 :

« cette loi a favorisé le développement de la prostitution sur internet avec des tarifs équivalents à ceux pratiqués dans la rue… cette loi n'a pas eu les effets escomptés. Elle a surtout chassé les filles de la rue pour les faire passer dans des hôtels et appartements, et tout se passe désormais via la cyberprostitution. »

Pour entrer plus dans les détails, l'évaluation des abolitionnistes repose sur les 4 villes de Narbonne, Bordeaux, Strasbourg et Paris.

A Narbonne, il y aurait initialement eu moins de clients et moins de ‘prostituées’. D’après Jimmy Paradis de la fédération locale du Syndicat du Travail Sexuel « tout le monde est parti travailler en Espagne ». Le document de la Fondation Scelles estime quant à lui page 34 que « la prostitution est, semble-t-il, moins visible sur les routes autour de Narbonne mais la prostitution sur Internet se développe et a été très médiatisée il y a environ une année à Narbonne même. »

Cela a de suite posé la question de savoir où étaient passées les travailleuses du sexe, afin d’effectuer les accompagnements promis, dans un contexte où le Planning Familial de l’Aude est contraint à la dissolution faute de moyens. Page 39 du rapport, la déléguée départementale aux droits des femmes se demande alors : « comment aller vers les personnes prostituées maintenant ? », et le rapport précise « Il n’existe pas, pour l’instant, d’autres opérateurs de terrain et la Déléguée départementale réfléchit à une stratégie pour l’avenir avec la Directrice régionale. »

Après avoir été le département avec le plus de pénalisation des clients dès juin 2016, cette approche a été abandonnée. « La pénalisation n’a peut-être été qu’un « coup médiatique », pour reprendre l’expression d’une personne interviewée, et elle ne semble plus d’actualité. Page 40, il est ajouté :

« Aujourd'hui, c'est le développement de la prostitution sur Internet qui devient problématique et la loi du 13 avril 2016 proposerait un arsenal juridique du passé avec une pénalisation qui peut surtout s'appliquer aux « clients » de la prostitution de voie publique. La ville de Narbonne voit en effet se développer une « prostitution des cités » sur internet, nous y reviendrons plus loin, liée au trafic de stupéfiants et au sein de laquelle les jeunes femmes, parfois mineures, ne se définissent pas forcément comme des victimes. Cette forme de prostitution ne concerne plus la Gendarmerie mais la Police Nationale : « Aujourd'hui, l'enjeu est là ! Ce qui m'inquiète, explique la Procureure, c'est le développement sur Internet de 40 réseaux de proxénétisme de jeunes filles parfois mineures. Cet enjeu majeur suggère des moyens d'enquête plus importants et pas un supplément d'arsenal juridique. »

Lors de la commission départementale de septembre 2018, la gendarmerie de Narbonne soulignait déjà que la pénalisation des clients « a conduit les prostituées à se cacher un peu plus ».

La pénalisation des clients au départ très fortement appliquée dans cette région a de fait été abandonnée. Elle n’a pas permis d’empêcher l’existence du travail sexuel mais seulement de le rendre plus invisible, ce qui empêche l’accès des travailleuses du sexe aux ressources des associations, y compris celles dudit « parcours de sortie », et pourrait bien les exposer à de nouvelles formes d’exploitation.

A Bordeaux, le rapport annonce que « le volet social de la loi est aujourd’hui bloqué et en crise » tandis que la répression se déploie non pas de l’initiative des autorités elles-mêmes mais suite à « la mobilisation des riverains ». Cette pénalisation ne se passerait pas très bien car est-il dit page 57, « elle rendrait en outre plus négative l’image de la police auprès des personnes prostituées, dans la mesure où elle ne peut plus intervenir légalement que pour pénaliser leurs clients »

Alors que la loi prétendait mettre fin à la pénalisation des travailleuses du sexe, le rapport abolitionniste admet page 60 que « les riverains aiguillonnent littéralement la politique locale et ils obtiennent au cours de l’été 2016 un premier résultat bien éloigné de la loi du 13 avril et de son esprit. Le 13 juillet 2016, un arrêté municipal béglais interdit en effet pour une durée de deux années le stationnement des camionnettes – des personnes prostituées camerounaises essentiellement - dans deux secteurs du quartier Nord-Est de la ville »

Les soi-disant aides du « parcours de sortie » ne se concrétisent pas vraiment non plus car les demandes sont bloquées. Page 63, il est expliqué qu’au

« mois d'avril 2018, finalement la Préfecture n'a toujours pas statué à ce jour sur ces 5 dossiers » et page 64, « La loi du 13 avril 2016 ne ferait donc rien bouger et tout serait encore comme avant ». Page 66, il est expliqué que l'association locale censée accompagner les personnes dans ce parcours est « en difficultés financières et en crise interne depuis plusieurs mois. Les autorités locales sont d'ailleurs, au moment où nous écrivons, à la recherche d'une nouvelle association agréée » puis « L'association La Case, que nous avons rencontrée, demande finalement l'agrément et devrait reprendre l'héritage d'IPPO. Mais dans l'immédiat, la situation s'avère bien évidemment un peu chaotique, il n'y a plus vraiment de structure d'accueil centrale pour les personnes prostituées et la fréquence des maraudes a également diminué. »

Finalement on espère un déblocage, page 70 on apprend que « la Préfecture a débloqué trois des cinq parcours de sortie proposés en juillet 2017… mais ils ont été interrompus au bout de six mois pendant un trimestre » Page 74, une nouvelle association agréée, « Ruelle ne suit plus que deux personnes en parcours de sortie. La troisième personne, plus jeune et âgée de moins de 30 ans, a en effet obtenu le statut de réfugié politique qui ouvre à d’autres droits. « On n’arrivait pas à la voir, souligne une salariée de Ruelle, et elle est sortie du parcours de sortie ». L’accompagnement chaotique ne prend pas fin pour autant car page 75, on apprend que:

« La situation a été d'autant plus compliquée que la commission départementale qui devait avoir lieu le 4 décembre 2018, notamment pour renouveler ces deux parcours de sortie, a été annulée le matin même par la Préfecture en raison, semble-t-il, des mouvements sociaux et des manifestations de fin d'année liées aux Gilets jaunes et aux étudiants. Les personnes ont ainsi perdu leurs droits le 26 décembre 2018. Sans renouvellement de leurs APS, elles se sont vues privées de leurs AFIS et ont parfois perdu des contrats de travail ou des opportunités de contrats. Pour être très précis, l'une des personnes a perdu son emploi tandis que l'autre, qui avaient deux employeurs, en a perdu un seul. Elles se sont finalement retrouvées sans réponse quant à leur situation pendant plusieurs mois, jusqu'à la prochaine commission du 14 mars 2019 qui a donc eu lieu plus de 3 mois plus tard »

Etant donné les conditions de ce « parcours de sortie », on comprend qu’il ne reste plus que deux personnes suivies pour une grande ville comme Bordeaux. Qu’en est-il de « l’abolition de la prostitution » dans la ville ? Page 80, le rapport explique que « La situation prostitutionnelle sur la voie publique évolue peu selon, à la fois, la Brigade du Proxénétisme et des Débits de Boisson et les deux associations agréées qui réalisent des maraudes, La Case et le CEID. La Brigade du Proxénétisme « perçoit » toujours à peu près autant de personnes prostituées, environ 150, sur les lieux habituels de l’activité », et page 81 : « La Brigade du Proxénétisme observe enfin que de plus en plus de jeunes filles, mineures en fugue ou jeunes majeures, se prostituent pour vivre et demandent parfois à de jeunes garçons de les « protéger ». Elles n’éprouvent absolument pas le sentiment d’être des personnes prostituées et ne définissent pas non plus les garçons qui les « protègent » comme des proxénètes. »

A Strasbourg, malgré l’abrogation du délit de racolage, la pénalisation des travailleuses du sexe continue puisqu’un arrêté municipal est toujours en vigueur après la loi de 2016. Là aussi, les autorités policières sont sceptiques sur l’apport de la pénalisation des clients. Page 101, il est rapporté que :

« Certains des acteurs qui distinguent « des prostitutions » soulignent que si la loi vise à diminuer la clientèle prostitutionnelle pour protéger les victimes d’exploitation sexuelle, elle ne permet plus aux policiers d’identifier les proxénètes de ces victimes. Les policiers soulignent également que la procédure est longue : elle contraint la police à « planquer », à entendre le client et la personne prostituée, puis à rédiger le procès-verbal d’une amende de cinquième classe, alors que les budgets reçus à Strasbourg ne permettent pas de fournir des équipes de terrain plus importantes ou même uniquement dédiées à cette mission de lutte contre l’achat d’actes sexuels et de lutte contre le proxénétisme«

Concernant lesdits « parcours de sortie », les mêmes difficultés sont rencontrées qu’ailleurs. Page 103, il est expliqué que : « Plusieurs dysfonctionnements du volet social de la loi ont été mentionnés par les acteurs associatifs et institutionnels : L’hébergement est une des difficultés rencontrées car les partenaires de l’hébergement d’urgence et du logement sont saturés. Même lorsque des personnes sont intégrées au parcours de sortie prévu par la loi, l’hébergement d’urgence ne peut avoir lieu faute de place. » Puis, page 104 :

« Bien que des partenaires locaux soient sollicités et mobilisés sur un projet d'insertion professionnelle, l'autorisation provisoire de séjour délivrée par la Préfecture est de 6 mois, renouvelable sur 2 années. Or les formations durent fréquemment plus de 9 mois. Cela pose donc problème aux associations accompagnant les bénéficiaires. En effet, les formateurs ne veulent pas prendre pas le risque de dispenser une formation à une personne qui n'ira peut-être pas jusqu'au bout. Les associations soulignent que la priorité est donnée aux personnes bénéficiant, ou pouvant bénéficier, d'un titre de séjour autrement que par le parcours de sortie. Le décret du 28 octobre 2016 ne prévoit pas l'inscription à Pôle Emploi pour les bénéficiaires d'une APS ; de ce fait, l'inscription à des formations professionnalisantes est actuellement bloquée. De même, l'Aide financière à l'insertion sociale et professionnelle (AFIS) prévue est également bien accueillie mais qualifiée d'insuffisante. Elle ne permet pas à ses bénéficiaires d'assurer la transition d'activité et de revenus pendant le temps nécessaire pour suivre une formation, obtenir une qualification, et exercer une activité professionnelle leur permettant enfin de subvenir à leurs besoins. »

Autres dysfonctionnements concernant le «parcours de sortie», page 120, il est expliqué que : «L’AFIS, dont le montant est jugé trop faible pour subvenir aux besoins financiers d’une personne (même hébergée), pose parfois problème. En effet, il peut ne pas être renouvelé au moment du renouvellement du PSP : lorsque les revenus du mois précédent dépassent le montant de l’AFIS, c’est-à-dire lorsque la personne touche plus de 330 euros sur un mois de par son activité professionnelle ou sa formation, alors elle ne perçoit pas l’allocation le mois suivant. Les bénéficiaires du PSP arrivés au bout des 24 mois sont inquiètes de leur avenir concernant leur titre de séjour. Elles atteignent leur quatrième renouvellement d’APS et ne savent pas si elles sont assurées d’obtenir un titre de séjour en sortie de PSP.»

La pénalisation des clients, malgré les difficultés de son application a tout de même eu des effets de recomposition des scènes de travail sexuel, et de baisse des tarifs au point que des clients allemands se déplacent dorénavant à Strasbourg pour en profiter... Page 107, le rapport précise que:

Les acteurs de terrain notent que le phénomène s'est encore un peu plus éloigné des zones d'habitations en 2017. Les entreprises situées sur les zones industrielles demandent elles aussi à la police d'intervenir « pour garantir la tranquillité publique et la sécurité des employés ». Ces lieux récents de prostitution sont d'avantage installés depuis le vote de la loi qui contraindrait l'activité prostitutionnelle à plus de discrétion depuis la mesure de pénalisation du client, et depuis l'arrivée du tramway, proche de cette zone, qui relie l'Allemagne et la France. Les clients des personnes prostituées sur ces zones sont Français, mais aussi Allemands, car le recours à la prostitution réglementée en Allemagne coûte plus cher et le prix des passes proposé en France serait beaucoup moins onéreux. Les personnes prostituées rencontrées par les acteurs de terrain disent avoir de moins de clients ; ces derniers négocient le prix des passes ainsi que le port du préservatif. Ces demandes désormais très fréquentes feraient prendre plus de risques sanitaires aux personnes. Les associations pressentent une hausse des rapports non protégés. Bien qu'elles ne soient plus considérées comme délinquantes, les personnes prostituées ne sont pas plus en position de force face au client qu'avant la loi. Les clients négocient les prix en argumentant prendre des risques en les sollicitant, et qu'une autre personne prostituée acceptera de toute manière ce que celle-ci refuse

Il n’y au final pas moins de travail du sexe à Strasbourg qu’avant la loi de 2016. Page 121, il est rapporté que «La prostitution de rue n’est pas moins importante sur l’année 2018 et en début d’année 2019 selon la Déléguée départementale de l’association le Mouvement du Nid. Elle déclare que ses équipes ont rencontré de nouvelles personnes en situation de prostitution d’origine nigériane début 2019. Puis il est ajouté page 123, »Pour les forces de l’ordre, les réseaux nigérians, bulgares et roumains sont toujours présents dans la capitale du Bas-Rhin. La Déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité du Bas-Rhin rapporte le ressenti des associations d’une augmentation des violences psychologiques envers les personnes prostituées«

Enfin à Paris, le rapport nous explique que c’est l’endroit où la loi est la mieux appliquée de toute la France. Pourtant là aussi, le bilan n’est pas glorieux et les mêmes critiques reviennent. Page 141, l’évaluation signale que «Les premiers parcours permettent de faire remonter plusieurs problèmes techniques et administratifs : pour ces personnes hébergées qui souhaitent accéder à un logement dans le cadre des pensions de famille, le loyer ne peut pas être pris en charge simplement avec le montant perçu dans le cadre de l’AFIS, il faut toucher un salaire pour payer ce loyer et l’APS de six mois ne donne pas accès à ce type de logement. Les accès à la formation par Pôle Emploi sont également bloqués malgré la délivrance de l’APS ; ce format d’autorisation provisoire de séjour ne permet pas l’inscription et l’accès aux formations de cet organisme. De plus, la durée de six mois renouvelables peut poser problème aux formateurs» Les critiques se poursuivent ainsi page 142: «Concernant les dispositifs de mises à l’abri, aucun budget n’a encore été débloqué pour que les acteurs puissent faire des mises à l’abri d’urgence de victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle dans le cadre du texte législatif.» Page 161, les évaluateurs précisent que le même constat se maintient dans le temps: «Le format de l’APS bloque de nouveau et la structure Pôle Emploi ne semble pas déterminée à assouplir ses modalités d’accès aux formations avec une APS. Concernant l’aspect financier prévu par à la législation, l’hébergement reste encore et toujours problématique.»

Les autorités policières interrogées sont une fois de plus réservées quant à la pénalisation des clients. Page 144 le document nous dit que «La BRP et la DSPAP se sont emparés de cette mesure mais soulignent qu’elle met les acteurs policiers en difficulté pour remonter et démanteler les réseaux d’exploitation sexuelle. En effet, cette contravention de 5ème classe ne permet plus aux policiers de récupérer des informations en entendant et en saisissant le portable de la personne prostituée.» puis page 145 que «Le client ne leur apporte pas les informations nécessaires pour remonter jusqu’au proxénète».

La pénalisation des travailleuses du sexe ne s’est pas arrêtée non plus à Paris. Page 148, Les associations dénoncent les contrôles d’identité à répétition « à la limite du harcèlement » dans certains quartiers et lieux ciblés de la capitale, comme à Belleville où la brigade policière BST44 déployée par la Préfecture et la mairie de l’arrondissement est chargée de lutter contre les trafics et la vente à la sauvette. Des arrêtés anti-stationnement ciblent également toujours des lieux connus de prostitution, dans les Bois de Vincennes et de Boulogne ou encore dans Paris intra- muros, alors que les personnes prostituées sont considérées comme « victimes » par le législateur, depuis avril 2016. Des opérations de contrôle à l’immigration irrégulière sont effectuées fréquemment. Elles visent notamment les personnes prostituées. Le responsable adjoint de la DSPAP rapporte une opération de contrôle sur le secteur de Château Rouge réalisée en mars 2019. Ce contrôle visait explicitement des personnes prostituées du fait de leur situation irrégulière sur le territoire français. Cette opération a mené à 15 contrôles, 14 personnes ont été interpelées, 11 personnes ont ensuite été placées en retenue administrative.

La brigade est en charge d’opérations dites « globales » qui comprennent la verbalisation des clients de la prostitution, les contrôles d’identité, les contrôles de véhicules, les interpellations pour séjour irrégulier sur le territoire français, les enlèvements de camionnettes pour stationnements gênants. Ces opérations ponctuelles sont effectuées de manière commune avec la Sous-Direction de l’Immigration Irrégulière et des Services Territoriaux. En 2018, 105 opérations globales ont été réalisées ; depuis le début 2019, ce sont 86 opérations globales qui ont eu lieu.

Page 149, le rapport affirme que la police «constate une hausse des violences de clients mineurs ou jeunes majeurs à l’encontre de personnes prostituées : ces dernières les refusaient plus fréquemment avant l’adoption de la loi ; mais, face à une diminution du nombre de clients, elles acceptent désormais ceux qu’elles repoussaient. Les policiers remarquent par leurs échanges et prises de plaintes des personnes en situation de prostitution que les «clients paisibles» sollicitent moins les personnes prostituées par peur d’être verbalisés. Ainsi, elles seraient plus fréquemment confrontées à des clients violents. Ce ressenti d’une augmentation de la violence des clients envers les prostituées amène certaines personnes à solliciter la protection d’un intermédiaire : le phénomène d’emprise des proxénètes serait plus important au fil des années. La police relate également un rajeunissement des femmes nigérianes exploitées sexuellement sur les trottoirs parisiens depuis quelques années.»

Page 150, il est signalé que «Le prix des passes est deux à trois fois moins élevé qu’il ne l’était il y a 4 ans ; sur certains lieux de prostitution, les associations et la police rapportent des passes allant jusqu’à 10€ et parfois moins.» puis page 151 que «Les policiers observent que le nombre de personnes prostituées est toujours aussi important à Paris même si la prostitution et moins visible. La prostitution «discrète» s’est en effet développée depuis quelques années avec l’utilisation de l’outil Internet : sites d’annonces et réseaux sociaux. Cette pratique s’est accentuée pour tenter de contourner la mesure de pénalisation du client. Un des phénomènes récents qui prend une ampleur de plus en plus considérable à Paris est celui de la prostitution de jeunes filles. Très souvent mineures ou jeunes majeures, elles se prostituent via des sites d’annonces sur Internet ou les réseaux sociaux.»

Si même les rapports d’évaluation des abolitionnistes se montrent aussi sévères concernant les conséquences de la loi de 2016, la classe politique française devrait comprendre qu’il est temps d’en finir avec les politiques de pénalisation. Contrairement à ce que les abolitionnistes racontent, il n’est pas trop tôt pour percevoir les impacts positifs de la loi, puisque les impacts négatifs eux sont déjà bien perçus. Il est en réalité trop tard, car les travailleuses du sexe souffrent énormément de cette loi. Plusieurs meurtres ont encore été rapportés dans les pages faits divers ces trois derniers mois sans aucune réaction de la part de ceux qui nous gouvernent.