Aprèsavoir prêté serment lors d’une cérémonie officielle à Alger, le nouveauprésident algérien Abdelmadjid Tebboune succède à Abdelaziz Bouteflika, dont ilfut le Premier ministre. Notre diplomatie ne saurait faire fi ni des circonstances de son élection, ni de la défiance totale du peuple algérien à l’égard de celui qui incarne désormais un système corrompu et sclérosé.
- Par William Leday, enseignant à Sciences Po Paris, membre du collectif Chronik
Portépar un simulacre de scrutin démocratique précédé d’une parodie de campagne,l’ancien premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika, Abdelmadjid Tebboune, auraitété élu dès le premier tour avec 58% des voix grâce à un taux de participationofficielle de 39,9%. L’usage du conditionnel est de mise compte-tenu del’absence totale d’impartialité dans la tenue de ce scrutin et de contrôleinternational, la régularité du scrutin est donc en cause. Succédant à unesérie de procès condamnant pour corruption d’anciens hiérarques du régime,cette mascarade démocratique ne saurait faire illusion, ce pour plusieursraisons.
Toutd'abord la nature même du Hirak (miseen mouvement) qui bat le pavé d'Alger, de Tizi-Ouzou, d'Oran, de Constantine vendrediaprès vendredi, sans que l'intensité des manifestations ne baisse. Or, commetout processus révolutionnaire, ce mouvement, non-violent, jeune et féminin, brassel'identité plurielle du peuple algérien que le régime en place s'obstine à nierdepuis l'indépendance en 1962. Ces deux éléments qui ont contribué à abattre lemur de la peur hérité de la décenniesanglante et instrumentalisé par l'Etat algérien, font qu'aucun terraind'entente ne peut être trouvé avec un système clanique que les résultatsdélégitiment sur tous les plans.
Lanature de ce système, et c'est la deuxième raison, qui n'a fait que serelégitimer en interne, ne semble envisager autre chose qu'un vague compromisavec le Hirak. Et pour cause, le paridu général Gaïd Salah repose originellement sur le déni, le déni d'un mouvementqui embrasse le peuple dans sa diversité, le déni de réalité consistant àgouverner avec des institutions dont la vacuité est consubstantielle au régime.Or, compte-tenu de l'ampleur du processus révolutionnaire en cours, seule unetransition, avec une plate-forme aboutissant à une constituante en bonne et dueforme, est envisageable. De fait, le régime agonisant ne peut avoir d'autrerôle que de faire en sorte que ce processus ait lieu.
Euégard aux relations complexes que laFrance entretient avec Alger, ou plutôt avec le régime, Paris n'a aucun intérêtà reconnaître la victoire d'Abdelmadjid Tebboune, là encore pour plusieursraisons. La première est formelle et repose sur l'irrégularité du scrutin,celui-ci ne peut tenir de prétexte à une reconnaissance ou à un quelconque blanc-seing.La déclaration du Président de la République, Emmanuel Macron, qui a « pris note » de l'élection d'AbdelmadjidTebboune va dans ce sens : « Jesouhaite simplement que ces aspirations exprimées par le peuple algérientrouvent une réponse dans le dialogue qui doit s'ouvrir entre les autorités etla population (…) Il appartient aux Algériens d'en trouver les voies et moyensdans le cadre d'un véritable dialogue démocratique et je leur dis, avec respectet amitié, que dans ce moment crucial de leur histoire, la France se tient àleurs côtés. » Les réactions de l'Union européenne et de bien d'autrescapitales devraient être de la même teneur.
Jusque-là,le rapport de la France au monde est resté guidé par la realpolitik, un mode de fonctionnement consistant à ajuster lesrelations de deux États à l'aune de leurs seuls intérêts. Cette conception courtermisteet étroite appréhende avec beaucoup de difficultés les tendances lourdesfaçonnant les relations internationales et tend à ignorer les aspirations despeuples. Qui peut dire aujourd'hui que ce qui se passe en France ne concerne enrien les pays européens, les pays d'Afrique du Nord ou subsaharienne etinversement ? Pour avoir évacué la question des valeurs au nom d'une certainerealpolitik, la France n'a pas su accompagner les premiers Réveils arabes etsoutenir par exemple les démocrates en Tunisie alors que près de 721 000 d'entreeux résident en France, et par excès inverse, a lamentablement échoué en Libye.
Afinde ne pas reproduire ces mêmes erreurs, la France doit donc accompagner cemouvement populaire, très semblable à la révolution tunisienne de 2011,aspirant à un cadre démocratique sincère et à un Etat de droit. Il n’estévidemment pas question d’ingérence dans les affaires algériennes, maisd’interagir avec les aspirations populaire d’une société avec laquelle laFrance partage une histoire, des liens économiques, intellectuels etmigratoires, et dont deux millions de ressortissants ont un pied ici et unautre là-bas. Dans un monde globalisé où la question identitaire anime bon nombre de crises, la question desvaleurs a vu son importance s’accroître et devient fondamentale pour la Francedont l’image est traditionnellement associée aux droits de l’homme et la voix souventconsidérée comme alternative au sein des enceintes internationales. C’est doncau nom des valeurs, de sociétés civiles qui interagissent, d’une histoire et d’unavenir communs, que la France doit se positionner. La France et l’Algérie, avecd’autres, ont la Méditerranée en partage. L’histoire de celle-ci ne peut s’écriresans ces deux grands pays.