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Libération
Blog «Ma lumière rouge»

Les putes meurent elles en moyenne à 34 ans?

Blog Ma lumière rougedossier
Un mensonge prohibitionniste parmi tant d'autres
Angel of Death, peinture d'Evelyn de Morgan, 1881
publié le 23 décembre 2019 à 15h56

Il y a encore deux mois, nous pouvions lire une tribune prohibitionniste dans Libération affirmant que la moyenne d'âge de décès des putes était de 34 ans, citant à l'appui l'étude de John Potterat, 2003, et Stuart Brody, 2005. Comme d'habitude, les journalistes n'ont pas cherché à vérifier ces affirmations et le tout a été publié sans correctif. Il suffisait pourtant de lire l'étude en question pour se rendre compte de la tromperie. Certes il faut lire l'anglais, mais de nos jours, un bon moteur de traduction peut aussi faire l'affaire. L'article publié dans l'American Journal of Epidemiology contient en effet le passage suivant:

Few of the women died of natural causes, as would be expected <strong><em>for persons whose average age at death was 34 years</em>.</strong> Rather, based on proportional mortality, the leading causes of death were homicide (19 percent), drug ingestion (18 percent), accidents (12 percent), and alcohol-related causes (9 percent) (table <a class="link link-ref link-reveal xref-default" data-open="KWH110TB3" reveal-id="KWH110TB3">3</a>).

Cette étude porte sur 1969 femmes travailleuses du sexe à Colorado Springs aux Etats Unis de la période de 1967 à 1999. Sauf que, les prohibitionnistes maîtrisant peut être mal l’anglais, la moyenne d’âge de mortalité ne concerne que les travailleuses du sexe qui sont mortes..., et pas celles encore en vie... L’étude dit en effet que :

For the 33-year study interval, 117 women (6 percent) were classified as confirmed dead and 26 (1.3 percent) were classified as possibly dead (table <a class="link link-ref link-reveal xref-default" data-open="KWH110TB1" reveal-id="KWH110TB1">1</a>).

Cela signifie qu’entre 6 et 7,3% des 1969 femmes travailleuses du sexe ont été prises en compte pour créer cette moyenne de 34 ans, excluant 93% des autres, celles qui ne sont toujours pas mortes au moment où l’étude a été publiée.

On pourrait ajouter que ces 1969 femmes ont été identifiées à partir des fichiers de police et du département de surveillance sanitaire, créant un biais supplémentaire dans la représentativité de la cohorte, puisque les personnes criminalisées ou consultant pour des problèmes de santé sont plus susceptibles d’être celles souffrant de pathologies mortelles, d’être usagères de drogues, ou d’être exposées à des violences. Par exemple, l’étude inclut la période avant trithérapies contre le VIH-SIDA, moment de forte mortalité pour les personnes vivant avec le VIH, mortalité qui, depuis, a fort heureusement chuté.

Il faudrait attendre que ces 1969 femmes soient toutes décédées avant de pouvoir affirmer une moyenne d’âge de mortalité. En attendant, ce mensonge circule de façon éhontée puisqu’il s’agit encore et toujours de faire croire que les travailleuses du sexe meurent en masse à cause de l’exercice du travail sexuel en lui même, amalgamé à une «violence faite aux femmes».

Ce qui est triste, c’est que les vraies violences dénoncées par les travailleuses elles mêmes ne sont en revanche jamais prises en compte. Ces trois derniers mois en France, trois travailleuses du sexe ont été retrouvées assassinées. Mais comme cela pourrait être directement imputé à la législation actuelle, les prohibitionnistes n’en parleront pas, et ne comptabiliseront pas les meurtres des travailleuses du sexe comme féminicides.