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Blog «Humeurs noires»

Anne Lafont, l'art et la race. L'Africain (tout) contre l'oeil des Lumières

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L'historienne de l'art présente un ouvrage au titre audacieux sur la représentation des Noirs dans l'art français au XVIIIe siècle, l'époque des Lumières perçue comme un moment progressiste et qui fut paradoxalement le temps de l'esclavage le plus intensif.
Marie-Guillemine Benoist, née Laville-Leroult. Portrait d'une femme noire (1800), Paris, musée du Louvre.
publié le 25 décembre 2019 à 17h18

Pionnière en France dans l'étude des régimes de visibilités complexes, Anne Lafont dans son dernier ouvrage, couvre l'art et la production visuelle qui partent de la fin du XVIIe siècle dans une Europe conquérante par la philosophie naturaliste, jusqu'au premier tiers du XIXe siècle lors des premiers échecs abolitionnistes (1802). L'art et la race a selon l'auteure, pour dessein d'emporter le lecteur vers une mise en œuvre de deux notions qui coexistaient dans les usages de l'époque à travers le champ culturel et artistique. L'essai mène une tentative d'écrire sur une présence africaine dans les Beaux-Arts, noire « jusqu'à en aveugler l'œil des Lumières ». Les Lumières sont donc mises à rude épreuve pour comprendre l'homme africain, la femme africaine qui surgissent dans ces images et dans la construction de la visibilité ou de l'invisibilité, et enfin dans la notion indéfinie de la race. Anne Lafont questionne dans sa recherche rigoureuse de plus de dix ans, les œuvres, les hommes et l'histoire : « Comment écrire un livre sur une notion problématique, la race, qui a forgé une idéologie de la domination ? Comment la réinvestir en l'articulant à un corpus d'objets spécifiques – les œuvres d'art représentant des figures noires – qui furent à la fois fétichisées et neutralisées par le musée et le discours ? Ce livre interroge à travers l'art et son historicité, les notions de l'existence de soi à travers l'Autre et les concepts qui ont façonné l'imaginaire de la civilisation occidentale. Au premier abord, l'approche développée par l'historienne pourrait s'inscrire dans les nombreux affrontements produits dans les cercles intellectuels, au sein d'une société française fracturée, dans laquelle l'humanisme et l'universalisme luttent contre l'assignation des individus à leurs apparences. Mais à l'heure actuelle, ce livre a le mérite de révéler au grand jour « ces angoisses fondamentales qui ont conduit à l'effacement de la contribution historique africaine ».

Anne Lafont, L’Art et la Race. L’Africain (tout) contre l’œil des Lumières (Presses du réel, 2019).