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Tribune

Des moyens ou la fin de la Maison des écrivains

Sans un soutien effectif des ministères de la Culture et de l'Education nationale, la Maison des écrivains et de la littérature ne peut plus jouer son rôle de diffuseur et de prescripteur.
Dans la Maison des écrivains, à Paris. (Maison des écrivains)
par Sylvie Goutte-Baron, directrice de la Maison des écrivains et de la littérature
publié le 30 décembre 2019 à 17h41

Tribune. Messieurs les ministres de la Culture et de l'Education nationale, la Maison des écrivains et de la littérature a besoin de toute urgence d'une convention tripartite ministère de la Culture, ministère de l'Education nationale, Maison des écrivains et de la littérature.

La littérature aime les extrêmes. Parce qu’elle a une fin (entendez finalité), elle veut cette fin et pas une autre. Mais elle veut aussi les moyens pour s’accomplir. Il ne faut pas la sous-estimer. Est-elle aujourd’hui soutenue comme il se devrait ? On peut en douter. Il y a des années, on m’a confié les rênes d’une association créée aux riches heures d’une véritable politique culturelle, en général, et en particulier pour le livre et la lecture. La vision était claire et une communauté d’êtres portait la tâche immense et digne de transmettre sa passion pour les lettres. La Maison des écrivains recevait alors, via le Centre national du livre, ce qui lui était nécessaire pour la bonne marche de ses missions. J’y ai appliqué, sous contrôle d’un conseil d’administration renouvelé en permanence et bienveillant, la règle fondamentale en vigueur: diffuser la littérature contemporaine à travers des actions d’éducation artistique et culturelle et des rencontres pour tous.

Injonctions contradictoires

Mais aujourd’hui, la tension permanente entre ce qui nous est demandé – que nous avons maintenu autant quantitativement que qualitativement –, le plaisir que nous avons à travailler en complicité avec des auteurs amis pour qui cette maison reste un foyer, et les injonctions contradictoires de nos tutelles (commençons aussi par nommer précisément les choses: une tutelle reste une tutelle et ne peut pas se dire partenaire parce que cela ferait plus aisément passer la pilule), aujourd’hui donc, cette tension n’est plus raisonnablement supportable.

La formidable équipe qui met en œuvre ces programmes nationaux d’éducation artistique reconnus par tous – dont l’Igac (1) soulignait le rapport qualité-prix (sic) –, ne peut vivre dans la crainte permanente de lendemains sans salaires et avec seule perspective le chômage. Malgré le soutien indéfectible du conseil d’administration qui fait tout pour que cette incertitude soit levée, l’hypothèse d’une fin (entendez mort) s’affirme cependant sans raison valable et argumentée. Nous manquons d’air (on nous en a privé) mais pas de détermination.

Diriger une structure dont l’action essentielle repose sur un travail de fond (l’éducation artistique et culturelle), invisible à l’œil nu, peu médiatique (on le regrette), est devenu un sport de haute voltige qui consiste davantage à chercher des moyens qu’on ne trouve pas (le mécénat se fait rare en la matière), qu’à penser des actions dont la littérature, seule, a les clés, pour dire ce qui meut, émeut ce qui tient lieu de monde. Ces deux actions ne sont pas incompatibles pour peu que l’on nous aide à l’équilibre.

A l’heure où monte, dans la société, le rejet d’un capitalisme effréné, à l’heure où les jeunes de tous horizons espèrent un avenir différent de celui qu’on leur brosse à coups de publicités, la littérature a les moyens d’apporter ce matériau nécessaire à la conscience critique qui détermine un individu. La Maison produit l’éducation artistique et culturelle en inventant chaque jour celle de demain. Nous avons des idées et les revendiquons. Nous les estimons, à juste titre, bonnes. Qui peut expliquer sans cynisme pourquoi elles sont entendues et appréciées au plus haut niveau de l’Etat sans que cela se traduise dans les faits par un soutien effectif à leur mise en œuvre ?

La sourde oreille n’est pas un projet

Le pouvoir de la littérature est grand pour peu qu’on lui accorde du crédit. Nous misons sur ce pari qu’elle est un remède. Elle a le «souci de la terre». Nous parions sur sa puissance. La rencontre avec elle, en présence de celles et ceux qui la produisent et la transmettent, à travers nos programmes, est une chance pour imaginer l’avenir. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la littérature a cette capacité. Si donc l’éducation artistique et culturelle est cet enjeu majeur, comme il est répété à l’envi, qu’on nous en donne la preuve. Il est temps. La sourde oreille n’est pas un projet. Nous ne sommes pas les seuls à demander ce soutien, parce que nous ne sommes pas les seuls à savoir qu’il y a beaucoup à faire, encore, et que le temps presse.

Messieurs les ministres, nous avons la solution. Elle consiste à signer enfin une convention tripartite prête depuis longtemps. Elle serait la preuve que l’éducation artistique et culturelle en littérature est une véritable priorité et preuve aussi d’un engagement conjoint de vos ministères respectifs. Cette maison a une belle histoire. Son présent fait effet et nous donne raison. Il serait regrettable qu’elle n’ait «point de lendemain». D’ailleurs, qui oserait assumer cela sans honte ?

(1) IGAC, Inspection générale des affaires culturelles.