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Libération
Blog «Ma lumière rouge»

Dernier hommage à Maia/Thelma

Blog Ma lumière rougedossier
Derniers mots à l'occasion de ses funérailles.
Maia au centre avec Marianne Chargois à gauche, dans la maison de Christine à Marseille.
publié le 3 janvier 2020 à 21h16
(mis à jour le 3 janvier 2020 à 21h19)

Les obsèques de Maia/Thelma/Zelda ont eu lieu cette après midi. Il semble que beaucoup ont apprécié ce que j'ai pu dire donc je le livre également sur ce blog que nous partagions:

Je suis issu d’une famille de gauche. Mes parents étaient syndicalistes, tout comme mes grands parents avant eux. Et lorsqu’une camarade décède, le syndicat est là, jusqu’à la fin.

Lorsqu’on m’a demandé de participer aux prises de parole pour aujourd’hui j’ai répondu oui, parce que je pense que je dois bien ça à Maia, et parce qu’à travers moi, c’est en partie le STRASS qui s’exprime. Mais j’avoue que l’exercice est difficile. Comment rendre un bel hommage, en cinq minutes seulement, après tout ce que Maia nous a laissé ?

Depuis deux semaines, je relis ce que Maia a écrit, je regarde ses vidéos, je comprends des choses de son travail artistique que je n’avais pas vu avant. Je me suis replongé dans nos conversations et je me suis rendu compte que je suis la première personne du STRASS qu’elle a contacté pour proposer un partenariat de projet artistique. C’est comme ça que je l’ai mise en relation avec la « communauté », la communauté des travailleuses du sexe, en commençant par les marseillaises, puis petit à petit rencontrant tout le monde, en particulier lors des rencontres nationales organisées à Marseille.

Maia était brillante. Elle m’a très vite branché sur le concept de « féminisme cagole », sur les transgressions de genre des femmes de la classe ouvrière, et bien sûr sur le « féminisme pute ». Elle m’avait contacté après avoir lu mon livre et je lui ai donné toutes mes références bibliographiques, notamment Gail Pheterson sur le stigmate de putain comme arme du patriarcat et police de genre sur les femmes. Elle m’a fait lire des articles qu’elle écrivait et j’ai tenté de l’encourager à poursuivre, jusqu’à ce qu’elle me demande d’écrire pour le blog sur liberation avec moi.

Nous échangions souvent sur les politiques à mener pour le mouvement, pour les minorités en général. Je dois dire qu’un esprit comme le sien est rare. Maia avait une analyse fine des mécanismes et de la manifestation des oppressions, et tout son travail, politique comme artistique, nous en informe. Maia était une grande combattante. Elle avait une audace d’une grande justesse, se confrontant à différents pouvoirs et autorités de manière argumentée et documentée, ce qui la rendait redoutable.

Elle apportait aussi du plaisir à militer, parce qu’elle avait de l’humour et de la tendresse, parce qu’elle proposait de nouvelles formes de militance par les arts et la performance, et parce qu’elle avait cette façon très douce de se moquer des gens un peu chiants et conformistes. Avec Marianne, elle savait tirer le grain de folie en nous pour en faire un spectacle, un moment de partage fédérateur.

Le militantisme peut facilement tomber dans le rébarbatif et le déprimant, surtout quand on est minoritaire et qu’on perd face à un pouvoir politique qui nous écrase. Nous avons touTEs peur de ce qu’on nomme de plus en plus comme le burn-out militant. Est-ce que Maia en a souffert ? Était-elle affectée plus que d’autres ? N’avons-nous pas su la protéger ? Elle ne nous a jamais rien reproché car elle était plutôt du genre à faire qu’à se plaindre.

Elle savait que le militantisme ne se résumait pas aux manifs et aux pétitions. Elle savait qu’il fallait construire un mouvement, une communauté de semblables, une conscience de classe, et donc prendre soin des autres en faisait partie. Les meilleurs militants sont en réalité ceux-là et celles-là et c’est ce qu’était Maia. Elle avait par exemple proposé et animé des ateliers photo pendant les rencontres nationales. Cela pouvait paraitre un peu futile pour moi, mais j’entends encore aujourd’hui des personnes en parler comme d’un moment où elle donnait du pouvoir et de l’estime de soi.

La question des représentations était centrale dans son travail. Elle comprenait parfaitement le besoin de se réapproprier les discours sur soi-même puisque toute l’histoire des arts est dominée par des hommes dépeignant des femmes ou des minorités. Elle a fait en sorte que celles et ceux qui sont toujours et encore les objets des discours et des représentations puissent enfin être sujets. Elle nous a donné du pouvoir dans un monde qui nous considère comme des moins que rien. En si peu de temps, tu as fait énormément, et ta mémoire, et tes œuvres, resteront. Au nom du STRASS, de tes sœurs de lutte, nous t’en remercions.