« Quand ils aperçurent l'étoile, ils furent saisis d'une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l'adorèrent; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe. »
C'est dans l'Evangile selon Saint-Matthieu qu'apparaissent les figures des rois mages venus présenter leurs hommages à Jésus qui vient de naître. Chacun est associé à un présent… mais en réalité, et contrairement à une idée reçue, les présents précèdent les rois mages. Ou plus exactement, l'identification des rois mages que l'iconographie chrétienne a rendu « évidente » à travers les crèches à travers le monde s'avère tout sauf évidente. Elle est le fruit d'une construction bâtie au sein de la tradition chrétienne au fil des siècles. Et l'Afrique y occupe une part souvent sous-estimée à différents titres.
En premier lieu, c'est en Afrique qu'est pensé le statut « royal » des rois mages. Initialement, les rois mages sont interprétés comme des sages (en grec magoï) ; c'est le théologien Tertullien qui est à l'origine de la qualification de ces sages comme des rois. Tertullien est connu pour être un théologien latin (né vers 150-160 et décédé en 220) ; mais ce qui est plus souvent oublié c'est qu'il n'est pas Romain mais Berbère : il est le plus célèbre théologien de Carthage (actuelle Tunisie), bien avant le célèbre Augustin d'Hippone (354-430). C'est donc à un théologien carthaginois que l'on doit la qualification des sages en rois (mages). Et c'est Origène (né vers 185 et mort vers 253), théologien et Père de l'Église, qui a établi – sinon « stabilisé » – à 3 le nombre de rois mages. Il complète ainsi le premier chantier « d'identification » de Tertullien. Origène entretient lui aussi un lien avec l'Afrique : il est originaire d'Alexandrie (Égypte) où il découvre le christianisme, avant de se rendre en Grèce et en Palestine.
Entre le VIe et le VIIIe siècle, la tradition chrétienne identifie les rois mages sous les noms de Melchior, Gaspard et Balthazar. C'est notamment dans l'Excerpta latina barbari(« Extraits latins d'un barbare », conservé à la BnF sous la cote de manuscrit latin 4884), compilation latine datant de la Gaule mérovingienne et qui prétend proposer une histoire universelle, qu'est établie l'identité des trois mages. Ce texte est en fait la traduction d'un texte grec antérieur qui date de la fin du Veou du début du VIesiècle. C'est à partir de ces éléments que les origines des trois rois mages font l'objet de différentes gloses et d'interprétations par les Pères de l'Église. Selon certaines interprétations, Melchior serait roi des Perses, Gaspard roi d'Inde et Balthazar roi des Arabes. Selon d'autres, Melchior serait roi de Saba, Gaspard roi d'Arabie et Balthazar roi de Tarse. Dans cette dernière version, c'est Melchior qui vient de Nubie et donc d'Afrique. En tous les cas, il est admis que les trois rois mages sont censés représenter les différentes parties du monde alors connu : l'Asie, l'Europe et l'Afrique.
Blason imaginaire des rois mages. Dans cette version, c’est Melchior qui relève du royaume de Saba et qui fait référence à l’Afrique. Source : Armorial de Wernigerode [BSB-Hss Cod.icon. 308 n]
C'est au VIIIe siècle, avec Bède le Vénérable (né vers 672-673 et mort en 735), un moine anglo-saxon de Northumbrie (actuelle Angleterre), que se stabilise certaines représentations : Melchior est un vieillard aux cheveux blancs et à la longue barbe qui offre l'or ; Gaspard est un jeune imberbe « à la peau rouge » qui offre l'encens ; Balthazar « au visage noir » offre la myrrhe. Chaque roi mage est associé à un présent précis. Et c'est à partir de Bède le Vénérable que Balthazar devient l'incarnation du roi venu d'Afrique. Par ailleurs, la myrrhe est connue dans les commerces d'Antiquité tardive pour venir du pays de Pount (actuelle Somalie). La tradition chrétienne ne donne finalement pas plus de précision sur l'origine géographique de Balthazar – pas plus que des deux autres rois mages. Balthazar représente le descendant de Cham, fils de Noé.
Mosaïque des rois mages, basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf de Ravenne (VIe siècle).
Cependant, les représentations iconographiques tardent à figurer Balthazar comme un Africain. Durant le Moyen-Âge occidental, les rois mages sont traditionnellement peints comme des Occidentaux. C'est à partir des XVe et XVIe siècles que Balthazar est représenté sous les traits d'un Africain, à l'aube de la colonisation de l'Amérique et de la traite esclavagiste Atlantique. Cette évolution est là encore le fruit de son époque : à la Renaissance, Balthazar l'Africain devient l'icône de l'universalisme chrétien – antérieurement et en opposition avec les thèses de la controverse de Valladolid (1550-1551) qui, en prétendant épargner les Amérindiens du travail forcé, a eu pour conséquence de permettre la généralisation du recours à l'esclavage africain dans les colonies espagnoles et portugaises d'Amérique.
Depuis le XVIe siècle, dans l'imaginaire collectif, un roi mage représente l'Afrique. L'identité de Balthazar s'est stabilisée dans la tradition chrétienne, entre Tertullien et le XVIe siècle. Son origine se confond souvent avec les légendes chrétiennes qui entourent le royaume d'Aksoum, le royaume du Prêtre Jean et tous les récits qui accompagnent les mondes chrétiens de la Corne de l'Afrique, de l'autre côté de la Mer Rouge. Mais malgré cela, le vrai problème… c'est qu'on peine toujours (depuis Bède la Vénérable) à retrouver le prénom de chaque roi mage
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