La réforme des retraites est l’opération centrale de la campagne de réforme radicale du modèle socio-économique français, laquelle constitue l’objectif du quinquennat de Macron. La campagne d’après, qui inclura probablement l’assurance maladie et l’université, sera pour le quinquennat suivant.
Cette réforme a été présentée, y compris dans le maigre document qui servait de programme électoral, comme la fin des «régimes spéciaux» pour mettre en place un régime universel ne souffrant aucune exception. Dans la pratique, les exceptions à ce prétendu régime universel n’ont fait que s’ajouter les unes aux autres puisque les policiers, les aiguilleurs du ciel, les personnels de la pénitentiaire, etc., conserveront un «régime particulier». On a, comme d’habitude, invoqué la contrainte financière pour justifier la réforme. En fait, les prévisions de déficit faites par le Conseil d’orientation des retraites sont modestes (au pire 0,7 % du PIB), limitées dans le temps, reposent sur des prévisions d’augmentation de l’espérance de vie discutables et négligent le fait que les importantes réserves de l’ensemble des régimes de retraite font plus que couvrir un déficit qui n’est dû qu’aux exonérations de cotisations sociales.
D’ailleurs, il n’est pas dit que la réforme elle-même ne provoquera pas de problèmes de financement. Le taux de cotisation unique prévu est de 28 %, dont 60 % à la charge des employeurs. Pour certains secteurs d’activité, les taux en vigueur actuellement sont plus élevés (74 % pour la fonction publique d’Etat). Comment la différence sera-t-elle comblée ?
La promesse électorale d'Emmanuel Macron était de ne toucher «ni à l'âge de départ à la retraite ni au niveau des pensions». Cela semble difficile à tenir compte tenu de ce que la réforme promet d'être. Premièrement, les trajectoires envisagées se placent dans une limite du ratio des dépenses de retraite par rapport au PIB (14 % voire moins). Comme la part des plus de 65 ans devrait augmenter de 25 % d'ici 2050, les retraites devraient au minimum baisser en termes relatifs.
Ensuite, les changements apportés par la réforme (le système de points, la prise en compte de l’ensemble de la carrière au lieu des vingt-cinq meilleures années voire des six derniers mois pour la fonction publique) devraient se traduire par une baisse des pensions pour une bonne partie des retraités, même si certains pourraient y gagner.
Enfin, comme l’avait benoîtement avoué François Fillon, le système par points, cela permet de diminuer le niveau des pensions. Il est en effet facile de modifier ce niveau, par exemple pour respecter un équilibre financier qu’on aurait soi-même dégradé à dessein, en jouant sur la valeur du point ou sur l’âge pivot. L’exemple des pays qui ont adopté ce système n’est d’ailleurs pas pour rassurer. L’objectif de la réforme en Suède était de faire baisser la part des retraites à 7 % du PIB en 2020. L’Allemagne, autre pays qui a adopté ce système, fait face à une augmentation préoccupante de la pauvreté chez les personnes âgées.
Un aspect fondamental de la réforme des retraites est le rôle qu’elle joue dans la transformation néolibérale du modèle socio-économique français. En effet, comme cela a été remarqué par beaucoup, la réforme des retraites, en conjugaison avec la loi Pacte, favorise potentiellement la croissance des retraites par capitalisation et par voie de conséquence le développement de l’activité des gestionnaires de fonds. L’abaissement à 10 000 euros par mois du plafond de salaire donnant lieu à cotisation au taux normal et ouvrant droit à une pension devrait inciter les hauts salaires à chercher une compensation du côté de l’épargne retraite, un marché qui intéresse tant BlackRock que les autres firmes où les hauts fonctionnaires aiment pantoufler.
On peut envisager la suite : la baisse du niveau des pensions publiques à cause du système de points incitera à chercher du côté des fonds de pension les compléments nécessaires au maintien du niveau de vie une fois l’activité cessée. La structure sera celle d’un socle potentiellement faible de pension publique complété par des plans d’épargne retraite privés suivant les moyens de chacun. Le développement de ces fonds entre pleinement dans la logique du capitalisme financier qui a les faveurs de l’occupant de l’Elysée.
Et pour ceux qui n’arriveraient pas à épargner suffisamment ? C’est là que la poursuite de la déréglementation du marché du travail pourrait jouer un rôle en permettant aux retraités modestes de se transformer en travailleurs seniors mais pauvres.
Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte. Ioana Marinescu, Pierre-Yves Geoffard et Bruno Amable.