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Chronique «Politiques»

Retraites : Laurent Berger détient la clé

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Avec le leader de la CFDT, un compromis rapide est possible. Reporter la question de l’âge pivot et se concentrer sur la retraite par points pourrait rendre cette réforme plus juste et plus sociale.
publié le 8 janvier 2020 à 17h31

La reprise du dialogue entre Laurent Berger et Edouard Philippe ouvre la porte à ce «compromis rapide» que souhaite Emmanuel Macron dans la bataille des retraites. Elle n'empêche pas le combat social de se poursuivre, les manifestations de se succéder, la grève de perdurer. La CGT, SUD, de toutes leurs forces ; FO, la FSU, la CGC un pas derrière, tenteront jusqu'au bout de bloquer une réforme qui sera néanmoins adoptée en Conseil des ministres, puis votée par le Parlement. Le cartel des non se battra jusqu'au dernier gréviste, résolument mais en vain. La vraie question est maintenant de savoir si la réforme peut être améliorée, devenir plus solidaire, plus protectrice, plus équitable, plus rassurante. Et là, c'est Laurent Berger qui tient la clé, Edouard Philippe pouvant mettre de l'huile dans la serrure.

Le leader de la CFDT est en effet le partenaire incontournable de tout compromis rapide. Il est à la tête de la première centrale syndicale française. Il est le leader syndical le plus populaire. Il a, s’agissant de la retraite par points, une légitimité incomparable, puisqu’il la préconise depuis longtemps, bien avant que le candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron ne se saisisse du sujet. Si la réforme se fait avec son accord, elle peut paraître acceptable aux Français, puisqu’une majorité de l’opinion est favorable au principe de la réforme par points et qu’une majorité beaucoup plus forte est hostile à «l’âge pivot» de 64 ans. Comme Laurent Berger. Avec celui-ci, la réforme peut être digérée, sans lui, elle ne laissera que ressentiment, amertume et aigreur. On ne peut réussir une réforme qu’avec les réformateurs et en matière sociale, Laurent Berger est bien le principal réformateur.

Encore faut-il que le gouvernement accepte pleinement sa démarche et se résigne à distinguer, et surtout à découpler, la réforme par points du couperet des 64 ans. Non qu’il soit possible d’ignorer la nécessité d’un équilibre financier, garantie de la pérennité des pensions, mais parce que les deux sujets peuvent être traités séparément, à condition que l’écart dans le temps soit modeste. L’idée d’une conférence sur le financement, préparée dès aujourd’hui pour aboutir quelques semaines après le vote définitif de la réforme, n’a donc rien d’utopique. Quant à l’âge d’équilibre des 64 ans, il ne constitue pas la seule technique possible, en tout cas, pas sous une forme monolithique. On peut l’individualiser, selon la durée et la pénibilité des carrières. On peut moduler la date de sa mise en œuvre et le niveau des cotisations de référence choisi (derniers mois de cotisations actuels, derniers mois de cotisations à venir). On peut en faire l’élément central d’un paquet de mesures simultanées. A terme, on sait bien que, comme partout en Europe, il faudra en venir aux 64 ans (sauf pénibilité, longue carrière, etc.) puisque, pour des raisons démographiques, le rapport cotisants-retraités se modifie plus lentement en France que chez nos voisins Mais le calendrier et les modalités se prêtent à de nombreuses variantes. La méthode Berger est, en tout cas, la plus positive.

Encore faut-il aussi que la réforme par points soit - première et principale négociation, la plus urgente et la plus substantielle - elle aussi améliorée comme le préconise la CFDT. Cela signifie que des progrès sont attendus à propos de la pénibilité, de ses critères, de sa durée, à propos des fins de carrière (beaucoup reste à faire), à propos des carrières complexes et, bien sûr à propos de plusieurs professions spécifiques. Chacun le sait, la question des enseignants apparaît primordiale. Pour que leur niveau de pension soit préservé, il faut mécaniquement relever, puis revaloriser leur traitement et leurs primes. Cela tombe bien, puisque leur niveau est notoirement insuffisant. Mais cela implique évidemment une loi de programmation précise donnant toutes garanties. De même, d’autres professions, à commencer par celle d’avocat, constituent des cas très particuliers. Cela ne contredit pas le principe d’universalité mais impose de le diversifier. La réforme par points doit aussi - c’est prévu mais cela doit être précisé - fournir l’occasion d’améliorer la situation de nombreuses femmes, des agriculteurs, des plus petits revenus. D’où l’utilité, et même la nécessité, de la conférence sur le financement.

Bref, les rencontres de cette semaine en témoignent, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir en très peu de temps. Le résultat n’est évidemment pas acquis. Les adversaires de la réforme ne désarmeront pas. Les partisans de la réforme devront accepter, de part et d’autre, des compromis, Laurent Berger poussant vers le progrès social, Edouard Philippe tirant vers le réalisme financier. Au moins une porte de sortie apparaît-elle, entrouverte jusqu’ici à l’espagnolette et qu’il s’agit d’entrebâiller vigoureusement, pour que la société française évolue sans se dégrader.