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Tribune

La France doit reconnaître les droits des enfants nés de GPA

Jean-Louis Touraine, co-rapporteur de la loi de bioéthique, appelle les sénateurs à reprendre sa proposition visant à faciliter la reconnaissance de la filiation établie à l’étranger.
Dans l’unité de PMA de l’hôpital Tenon à Paris. (Photo Philippe Lopez. AFP)
par Jean-Louis Touraine, député et co-rapporteur de la loi de bioéthique
publié le 9 janvier 2020 à 15h33

Tribune. En France, la gestation pour autrui (GPA) est interdite mais toute liberté est laissée aux parents de solliciter une femme porteuse à l’étranger. A leur retour en France, les parents et le nourrisson affrontent nombre de difficultés. Si depuis la circulaire Taubira, la nationalité française est accordée à l’enfant, de multiples problèmes continuent à se poser en matière de filiation. Au moins l’un des deux parents, pourtant reconnu comme tel dans le pays de naissance, n’est plus considéré comme la mère – ou le père – sur le sol français. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour ce manquement préjudiciable à l’enfant.

Une solution est possible, assez curieuse il est vrai : le recours à l’adoption de son propre enfant. Voici une mère qui, faute d’utérus, ne pouvait pas enfanter. Elle subit un prélèvement d’ovocytes permettant la formation d’embryons. Ceux-ci sont implantés chez une femme volontaire pour porter, en Amérique du Nord par exemple, l’enfant désiré. La donneuse d’ovocytes s’engage à pourvoir aux besoins de l’enfant qu’elle va élever et elle est déclarée mère en Amérique, mais non en France. Elle doit abandonner son statut maternel et entreprendre une procédure d’adoption de son enfant. Il s’agit bien sûr d’un détournement du dispositif d’adoption et cela introduit des aléas, des risques et des retards dans l’exercice des droits de l’enfant et des parents.

En octobre dernier, lors de l’examen de la loi de bioéthique, un amendement que je présentais a été voté en première lecture ; il prévoyait la possibilité de faciliter la reconnaissance de la filiation établie à l’étranger dans de tels cas, sous le contrôle du juge français et pour peu qu’il n’y ait pas de fraude.

Une demande de deuxième examen aboutissait peu après à un vote contraire. Pourtant, entre les deux votes, la Cour de cassation exprimait un point de vue favorable à la reconnaissance de filiation des deux filles Mennesson, lesquelles attendaient depuis 19 ans que leurs parents d'intention, ceux qui les ont désirées et élevées, soient reconnus comme tels.

Pourquoi donc ce deuxième vote négatif ? Parce que certains entretenaient la confusion entre deux questions distinctes, l’acceptation en France de la GPA et la reconnaissance de la filiation pour les enfants nés de GPA. On peut être opposé à la GPA mais comprendre l’humanité que représente l’attribution de ses droits à l’enfant né de GPA. Cet enfant n’a pas choisi son mode de conception et ne peut être tenu pour responsable des options de ses parents. Le priver de droits essentiels pour envoyer un message à ses parents n’est ni humainement acceptable ni efficace. Ceux qui croient empêcher des parents de recourir à la GPA à l’étranger en pénalisant les enfants font fausse route. Leur raisonnement s’apparente à celui des personnes qui croyaient dissuader du recours à l’IVG en criminalisant celle-ci. De plus, les divers pays qui nous ont précédés dans la reconnaissance des droits des enfants nés de GPA n’ont observé aucune augmentation du recours à cette pratique.

Plus récemment la Cour de cassation et la cour d’appel de Rennes (laquelle est la seule compétente pour juger en appel les demandes d’état civil des Français nés à l’étranger) ont confirmé à plusieurs reprises cette transcription de filiation pour des enfants nés de GPA hors des frontières françaises pour des couples hétérosexuels comme homosexuels.

La solution a ainsi été apportée par la justice, sensible à la détresse de ces familles et à la nécessité de protéger ces personnes vulnérables que sont les nouveau-nés. Pour le bon fonctionnement de nos institutions, le législateur doit confirmer et préciser cette juste orientation. Ainsi les cours pourront en toute sérénité appliquer les lois votées par ceux qui en ont la charge. Les sénateurs, qui analyseront la loi de bioéthique dans les prochains jours, auront, s’ils le désirent, l’opportunité de formuler cette avancée des droits de l’enfant. Pour ma part, je la souhaite. Sinon, il faudra attendre une révision ultérieure de la loi à l’Assemblée nationale tout en continuant à remercier la Cour de cassation et les divers tribunaux qui s’engagent avec courage dans le comblement d’un vide législatif, lequel s’avère de plus en plus intenable. Le candidat Emmanuel Macron n’avait-il pas affirmé : «C’est une question d’éthique et de dignité» ?