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Libération

Remboursez !

Que ce soit ceci ou cela, le Pass Navigo, les jours de grève ou les frais de mollet et de chaussures, remboursez-moi ça, non mais.
publié le 10 janvier 2020 à 17h06

S

i j’ai bien compris, le mécontentement n’étant pas provoqué uniquement par les grèves, les remboursements qu’on réclame ici et là ne devraient pas s’appliquer uniquement aux Pass Navigo ou aux billets SNCF. Normalement, on rembourse quand le spectacle n’a pas lieu, mais là, il faut rembourser parce que le spectacle a lieu dans une intimité exagérée. Remboursez les artistes qui se sont produits devant une affluence lamentable faute de déplacements possibles, les restaurateurs qui se retrouvent avec les congélateurs pleins à craquer de plats du jour faits maison, les poissonniers dont les marchandises deviennent moins fraîches que celles qu’Ordralfabétix tente de vendre dans le village d’Astérix, les pères Noël qui se sont gelés pour rien devant les grands magasins, les prostituées perdues dans la foule des passants trop pressés, les électeurs d’Emmanuel Macron qui souhaitent aussi qu’on leur rembourse leur bulletin parce qu’ils ne l’avaient pas mis dans l’urne pour être en marche du matin au soir. Remboursez, remboursez : c’est un cri unique dont on ne connaît pas bien le destinataire, mais tout le monde a envie de lancer des tomates à la gueule de quelqu’un. Ce serait une manière de se rembourser un chouia soi-même.

Mais c’est un engrenage délicat dans lequel on met le doigt en sollicitant le remboursement, ouvrant la porte à foultitude de dédommagements collatéraux. Voyez les parents insatisfaits de leur progéniture qui présentent la note sans se contenter d’un geste symbolique ou de quelques compensations se réclamant de l’affection ou de la gratitude. Et les enfants mécontents de leur éducation, de la taille de l’appartement familial, du minable forfait téléphonique, de la disponibilité de la salle de bains et de la qualité de la cuisine maternelle (malgré tout supérieure à l’inexistante cuisine paternelle), n’ont-ils pas droit aussi à un remboursement pour cet investissement gâché, cet échec manifeste qu’ils représentent alors qu’ils n’auraient pas demandé mieux que de faire leurs études à Harvard et rouler sur l’or ? Et dans le couple, plutôt que de se faire la gueule et de se planter des couteaux dans le dos, ne vaut-il mieux pas en arriver le plus vite possible aux indemnités compensatoires ? De fait, c’est un peu ce qui se passe quand les divorces sont mis entre les mains de bons financiers. «Il y a eu erreur sur la marchandise, ce n’est pas ma taille, donc je vous rends tout ça et remboursez-moi ces dix ans de mariage.» Evidemment, il faut compter aussi le préjudice moral dont tout le monde ne se sort pas aussi bien que Bernard Tapie face au Crédit lyonnais. Et ne risquerait-on pas la faillite pure et simple si les vieillards s’y mettaient également, les nonagénaires prétendant soudain, tels des adolescents, n’avoir jamais demandé à venir au monde ?

C’est comme si un slogan publicitaire envahissait la vie. Satisfait ou remboursé. Eh bien, remboursez, c’est comme ça qu’on sera le plus satisfait. Si j’ai bien compris, à défaut de cash qui risquerait de mettre l’euro sur la paille, on devrait obtenir des miles comme en offrent les compagnies aériennes et qu’on pourrait échanger le moment venu contre un peu de tendresse ou de considération : ce ne serait pas seulement la retraite mais la vie à points.