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Libération
TRIBUNE

Combien de morts et de blessés avant de repenser les techniques policières ?

Après la mort par asphyxie de Cédric Chouviat, les avocats de sa famille appellent à une profonde remise en cause des modalités d’intervention de la police nationale.
Un policier vise avec un LBD pendant une manifestation de gilets jaunes, à Paris, le 2 février 2019. (Philippe Wojazer/Photo Philippe Wojazer. Reuters)
par William Bourdon, Vincent Brengarth et Arié Alimi, avocats au barreau de Paris
publié le 13 janvier 2020 à 15h31

Tribune. En raison essentiellement des modalités de répression des manifestations lors de la crise des gilets jaunes, ces dix-huit derniers mois ont vu croître de manière exponentielle le nombre de personnes gravement mutilées, blessées suite à des interventions policières (2 495 blessés, 24 éborgnés et 5 mains arrachées).

Si par ailleurs l'identification citoyenne est faible lorsque la victime d'une bavure policière est un «jeune de banlieue», ciblé (la victime devient quasi automatiquement responsable de ce qui lui arrive), cette victime s'universalise quand chacun peut s'y identifier. C'est cette universalisation qui est à l'origine de l'impact de la mort de Cédric Chouviat. Elle nous enseigne malheureusement que personne aujourd'hui en France n'est à l'abri s'il fait l'objet d'un contrôle policier.

Ainsi, le cas de Cédric Chouviat, mort par asphyxie après un contrôle policier, est une illustration emblématique et dramatique d’une dérive grave que la France connaît depuis des années. Elle doit appeler une profonde remise en cause de la part de nos pouvoirs publics des modalités d’intervention de notre police nationale. Combien faudra-t-il en effet de décès, de membres arrachés et de corps meurtris pour que nos responsables publics prennent les décisions fortes qui s’imposent ? Doit-on atteindre une perte de confiance irrémédiable entre les citoyens et les forces de l’ordre pour enfin agir ? Les effets sont déjà dévastateurs et un palier supplémentaire a été passé, d’évidence, avec la mort de Cédric Chouviat.

Impunité, mensonges et déni

Le défi est aussi de mettre un terme à une culture d'impunité des policiers, trop souvent accompagnée d'une culture du mensonge et du déni, y compris les principaux responsables publics. On doit se souvenir des mots du chef de l'Etat quand il expliquait que les violences policières constituaient un vocable «inacceptable» dans un Etat de droit. Ce qui est inacceptable c'est de le nier. Les violences policières sont le résultat complexe d'années de surenchère sécuritaire et de démagogie politique, tant certains y ont vu une occasion, par une posture martiale, d'effacer leur déficit de crédibilité.

Bien sûr que cette surenchère a été dramatisée et aggravée par les attentats terroristes et la menace qui persiste. Bien sûr aussi, que les discours publics complaisants sont perçus par des policiers comme une forme blanc-seing qui encourage l'auto-permissivité et son corollaire, une irresponsabilité. Qui ne voit dans les techniques policières employées et dans la culture de l'impunité une forme «d'américanisation rampante» de l'ordre public en France. Insensé paradoxe que soient maintenues des armes dont chacun sait qu'elles sont mutilantes (LBD, GLI-F4…), et des techniques qui potentialisent un risque de décès (dont le plaquage ventral) et ce, en dépit des recommandations du Défenseur des droits, de multiples ONG dont l'Acat et, surtout, des régulières condamnations de la France par la CEDH, condamnations qui n'ont aucune espèce d'impact sur les responsables politiques en France.

Avocats, nous continuons à être témoins de ces classements sans suite à répétition, de ces informations judiciaires à rallonge et dont les résultats sont toujours extrêmement incertains lorsque des policiers sont en cause. Plus encore que pour d’autres, la justice pour les victimes de violences policières est un véritable marathon insupportable, un calvaire parfois où l’émergence de la vérité ressemble de plus en plus à un mirage.

Les politiques, on le sait maintenant, sont des pompiers pyromanes et c’est cyniquement qu’ils se considèrent contraints de ménager les policiers en raison d’un contexte sociétal et sécuritaire difficile alors même qu’ils sont pleinement responsables d’une dégradation de leurs conditions de travail, et de la confiance dégradée avec les citoyens. Il faut en finir immédiatement avec le plaquage ventral, comme nous devons en finir avec le LBD et la GLI-F4.

Formations lacunaires et directives inadaptées

Nos citoyens n’accepteront plus une victime de plus, sauf à ce que l’Etat se résigne à accepter en cascade des condamnations pour faute lourde par les juridictions administratives. Plaçons-nous aussi Bien sûr du côté des policiers qui sont loin d’être, c’est une évidence, des têtes brûlées et des «casseurs de manifestants» mais qui paient lourdement le prix de formations lacunaires, d’un encadrement inadéquat et de directives inadaptées. Pensons aux policiers qui, si on leur demande à nouveau de tirer des LBD et des GLI-F4, craignent d’être jeté au pilori alors qu’ils sont au service de la paix, au seul motif qu’ils sont aussi les «victimes collatérales» d’une politique irresponsable.

Plaçons-nous aussi du côté des manifestants qui parfois n’osent plus rejoindre les cortèges de peur d’être blessés ou tués. Plaçons-nous du côté des familles endeuillées dont le chagrin le plus souvent est aggravé par le sentiment de mépris des institutions judiciaires mais également des paroles publiques. Plaçons-nous du côté des blessés qui en garderont les séquelles éternelles et formons des vœux pour que de façon ultime cette nouvelle tragédie décille les yeux de nos politiques sur un naufrage qui ne cesse de s’aggraver.

William Bourdon, Vincent Brengarth et Arié Alimi sont les avocats de la famille de Cédric Chouviat.