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Chronique «Politiques»

L’ascension d’Edouard Philippe

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L’actuel Premier ministre fait partie de ceux qui, malgré les règles de la Ve République, ont été de vrais chefs de gouvernement, à l’image de Raymond Barre, Pierre Mauroy ou encore de Dominique de Villepin.
publié le 15 janvier 2020 à 17h56

Edouard Philippe n'est pas le collaborateur d'Emmanuel Macron, il n'est pas au président de la République ce que François Fillon fut à Nicolas Sarkozy. Il n'est pas le premier des ministres, il est devenu le chef du gouvernement. Cela ne va pas de soi. Le général de Gaulle avait même confié à Alain Peyrefitte que, dans son esprit, le vrai chef du gouvernement, c'était lui, c'était l'homme de l'Elysée. Parmi les Premiers ministres qui se sont succédé sous la Ve République, certains ont disposé d'une véritable autonomie, d'une liberté de mouvement, d'action, presque d'inspiration. Ce fut même le cas, quoi qu'ait pensé le Général, de Michel Debré et de Georges Pompidou, qui imposèrent leur marque. Ce fut aussi le cas de Raymond Barre sous Valéry Giscard d'Estaing, de Pierre Mauroy sous François Mitterrand, de Dominique de Villepin sous Jacques Chirac et aussi, cela va de soi, des Premiers ministres de cohabitation, Jacques Chirac, Edouard Balladur et plus encore Lionel Jospin. Beaucoup d'autres eurent la bride bien plus courte, à commencer par Jacques Chirac sous Valéry Giscard d'Estaing - il démissionna pour cela - mais encore Michel Rocard, François Fillon ou Jean-Marc Ayrault. Entre un tiers et la moitié des Premiers ministres n'eurent pas l'autonomie d'un chef de gouvernement. Jacques Chaban-Delmas voulut passer outre, il fut promptement démis de ses fonctions. Tout Premier ministre n'est donc pas chef de gouvernement. Edouard Philippe l'est devenu.

C'était tout sauf évident. Jamais un Premier ministre entrant n'a disposé d'aussi peu d'armes pour s'imposer. Edouard Philippe était inconnu du grand public, cas unique sous la Ve République. Il n'avait aucune expérience ministérielle, autre originalité absolue. Il entrait rue de Varennes sans pouvoir s'appuyer sur un parti en chef de file ou même en dirigeant de poids. Il quittait Les Républicains (LR) sans entrer ni à La République en marche (LREM) ni même dans l'une des formations de la majorité gravitant autour de LREM. Jamais un nouveau Premier ministre n'a disposé à l'origine d'aussi peu d'atouts pour devenir le chef effectif du gouvernement, d'autant plus qu'Emmanuel Macron ne cachait pas son intention d'être un président très actif et présent, entendant inspirer, diriger, trancher, incarner et porter lui-même la parole. A l'opposé du mythe du président arbitre, un président acteur et même un président vedette.

Malgré ces handicaps, et contrairement aux pronostics de la quasi-totalité de ses adversaires et même de nombre de ses propres ministres, Edouard Philippe, nommé il y aura bientôt trois ans, a progressivement mué en chef de gouvernement. Cela n’a pas été sans erreurs et sans fautes. Toujours courtois et attentif, avec du sang froid et de la résolution, il n’en a pas moins un caractère assez raide et des idées bien arrêtées, notamment en matière financière ou à propos de l’ordre public. C’est un régalien, un homme de fermeté, qui a mal évalué l’impact psychologique massif de la limitation de vitesse à 80 km /h ou bien de l’augmentation de la taxe sur les carburants. Face à l’apparition des gilets jaunes, il a semblé plus d’une fois mal à l’aise. Il est vrai que ce mouvement atypique était difficile à comprendre et à évaluer. Et c’est Emmanuel Macron qui, avec son grand débat, a su trouver une issue, sinon une solution. De même, face à la grève actuelle, bien plus classique dans ses ressorts et dans ses points de fixation mais d’une durée et d’une âpreté inhabituelles, il n’a pas toujours été habile. L’introduction de l’âge pivot dans le débat a sans doute fait perdre bien du temps et déplacé la controverse du sujet principal, la retraite universelle à points, vers celui de l’équilibre financier, ce qui n’est pas l’intuition la plus ingénieuse.

En revanche, Edouard Philippe, contrairement au précédent mouvement des gilets jaunes, a su exprimer, défendre et codécider avec Emmanuel Macron, celui-ci ayant le dernier mot, la position et les arguments du gouvernement. Il a piloté la réforme, pour le meilleur et pour le pire, alternant dialogues, brouilles et décisions. Bref, il a rempli son rôle. Au Parlement, il a pris de l’assurance, devenant peu à peu le chef effectif de la majorité, certes, constamment bousculé par les oppositions mais répliquant sans mal, sarcastique et direct, dirigeant effectivement une coalition de formations auxquelles il n’appartient pas. Conséquence de ces mutations progressives, il devient de plus en plus responsable de ses actes et de sa méthode. Solidement installé à l’Hôtel de Matignon mais comptable des résultats, réforme des retraites ou des hôpitaux, de l’Education nationale ou de la police, mais aussi des élections municipales de mars. Responsable devant les Français et devant Emmanuel Macron. Pleinement chef du gouvernement, donc, renouvelable ou révocable, selon l’épilogue des retraites et des municipales.