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TRIBUNE

Municipales : un scrutin qui s’annonce illisible

Alliances à géométrie variable et brouillage de l’offre politique : il sera difficile d’assigner une signification nationale aux prochaines élections municipales.
Une urne dans un bureau de vote. (AFP)
par Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques, université de Lille-Ceraps
publié le 20 janvier 2020 à 17h51

Tribune. L'interprétation nationale des élections municipales est toujours complexe : elles sont constituées de 35 000 consultations électorales présentant des configurations plus ou moins spécifiques. Mais depuis plusieurs scrutins, elles tendent à être de plus en plus construites comme des «tests» nationaux qui permettent de mesurer l'intensité de l'impopularité gouvernementale. Depuis 2001, les élections municipales s'inscrivaient dans le bipartisme (PS-UMP, puis LR) et obéissaient au modèle des élections «intermédiaires». En 2008 et en 2014, le PS, puis l'UMP sont parvenus à «nationaliser» le scrutin et à tirer des dividendes locaux de cette stratégie, appuyée par la lecture «gouvernementale» des médias. Dans les deux cas, le camp au pouvoir sort affaibli du scrutin. En 2014, le scrutin est marqué par une forte sanction de l'exécutif socialiste à travers le mécanisme de l'abstentionnisme différentiel (l'électorat de gauche, déçu, s'est moins mobilisé).

La donne politique est très différente en 2020. Les élections à venir se présentent de manière inédite. C’est bien sûr l’effet du cycle électoral de 2017 qui a recomposé et fragmenté le jeu partisan. La confrontation qui opposait les deux ex-partis de gouvernement n’a plus de sens même si le PS et LR gardent de puissantes bases municipales (à la différence de LREM, du RN ou de LFI).

Mais les élections municipales déstabilisent encore un peu plus le paysage politique. Un brouillage politique s’installe, renforcé par la faible légitimité et la labilité des étiquettes partisanes. Les maires sortants visent le rassemblement le plus large. Les candidats dans leur ensemble cherchent le plus souvent à occulter des appartenances partisanes démonétisées dans un contexte de défiance généralisée à l’égard des partis. Le label «listes citoyennes» fait ainsi florès comme jamais. Il est souvent difficile de situer politiquement ces initiatives qui permettent d’occulter parfois des affiliations partisanes devenues peu rentables. Prospère ainsi une forme de «citoyennisme washing» notamment chez les candidats de LREM (le guide électoral du mouvement incite les candidats à ne pas mettre en avant la référence à la majorité présidentielle).

On observe surtout une très grande variété de situations locales qui font songer à la configuration électorale éclatée des années 60. Les alliances électorales, à la géométrie très variable, sont très différenciées d’une ville à l’autre, tant à gauche, à droite qu’autour de LREM. Un phénomène inédit de double investiture s’affirme. Des maires sortants de droite (Nice, Toulouse, Amiens…) ont reçu la double investiture LR et LREM. Par exemple, à Angers, le maire sortant, Christophe Béchu, ex-LR, cumule quatre soutiens officiels : LREM, Agir, le Modem et LR. La droite est prête à un certain pragmatisme pour préserver son implantation locale au risque de renforcer LREM. Dans un certain nombre de villes, LR a désigné des «chefs de file» qui doivent négocier des alliances locales avec les candidats investis par En marche (Angoulême, Rouen, Niort, Amiens, Angers, Mont-de-Marsan…).

Des doubles investitures, moins nombreuses, s’observent aussi à gauche. Une dizaine d’élus ou de candidats bénéficient du double soutien du PS et de LREM. Et LREM, pour s’assurer des élus et brouiller les cartes, s’appuie largement sur le vieux monde : plus de la moitié des têtes de liste, désignées par la commission nationale d’investiture du parti présidentiel, sont issues d’autres formations politiques. Le périmètre des alliances à gauche varie aussi beaucoup selon les communes. Socialistes, communistes, écologistes, «collectifs citoyens» et même insoumis font affaire ou non selon des dynamiques locales très variables ici et là. On observe ainsi une forme de «dénationalisation» de la vie politique locale.

Cette illisibilité politique va rendre la lecture des résultats particulièrement complexe. A quel camp ou parti seront imputées les défaites et les victoires ? A qui reviendra le succès si Christian Estrosi ou Jean-Luc Moudenc sont réélus ? Les médias insisteront sur quelques villes tests (Paris, Lyon pour LREM, Perpignan pour le RN…) mais il sera difficile de tirer de véritables enseignements nationaux.

L’originalité du scrutin est que la plupart des forces en présence s’accommodent de cette absence de clarté. Le PS et LR, encore en convalescence, cherchent avant tout à maintenir leurs positions locales et à enrayer leur déclassement politique. LREM anticipe un mauvais résultat et cherche à le surmonter au mieux. Le parti a annoncé qu’il prendrait en compte le score de l’ensemble des forces alliées. Le ministère de l’Intérieur a anticipé la bataille politique de l’interprétation du scrutin : Christophe Castaner a demandé aux préfets, dans une circulaire, de ne pas attribuer d’étiquette politique aux maires dans les communes de moins de 9 000 habitants, ce qui va conduire à invisibiliser nationalement une partie des élections municipales. C’est dans cette strate de ville que LREM a le moins de candidats…

Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon cherche à «enjamber» le scrutin pour ne pas enregistrer un second désaveu électoral après le piètre score des élections européennes. C'est que LFI n'est pas bien préparée à ce scrutin : la formation est peu implantée localement et hostile à toute alliance avec les forces de gauche qui peuvent permettre de remporter des majorités municipales. Le choix de constituer des listes citoyennes s'inscrit dans une stratégie politique de long terme : favoriser l'«auto-organisation» des citoyens en vue de la «révolution citoyenne». Il a aussi une visée tactique : diluer les candidats de LFI dans des ensembles plus larges (listes citoyennes) pour ne pas être évalué le soir des élections.

Quel effet aura ce brouillage sur les électeurs ? Il risque de favoriser une relocalisation de la vie politique municipale et les maires sortants, même si la tendance au «dégagisme» peut aussi s’affirmer. Il peut également renforcer l’abstention, en progression constante depuis 1989.