Tribune. PMA et remboursement : il faut absolument aller au fond des choses si l'on veut comprendre quels sont les enjeux de la nouvelle polémique ouverte ce mercredi au Sénat. L'enjeu du vote de l'article 1 du projet de loi bioéthique, en effet, n'est pas seulement l'accès de toutes les femmes à la PMA mais les conditions dans lesquelles notre pays va instituer cet accès.
Les sénateurs opposés à la PMA pour toutes, faute de réussir à empêcher son ouverture aux femmes seules et aux couples de femmes, veulent obtenir aujourd'hui qu'on les mette radicalement «à part». Et pour cela, qu'on conserve le remboursement de la PMA par la Sécurité sociale pour les couples de sexe différent, mais qu'on ne l'autorise pas pour les autres femmes. Quel est le sens social, juridique, humain de cette inégalité ? Il est clairement de dire que le recours à la PMA est légitime pour les uns, et doit donc être accompagné par la nation, mais qu'il est injustifiable pour les autres, et donc qu'à défaut de continuer à l'interdire, on doit le considérer a minima comme une affaire privée qu'on tolère mais qu'on ne soutient pas (ici : citations nombreuses sur «le caprice», «la PMA de convenance», «les pauvres enfants orphelins de père», les précédents d'actes non remboursés telles la «chirurgie esthétique» et j'en passe).
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A cela, on aura mille réponses : qu’un tel discours est homophobe (et c’est vrai), que c’est confondre volontairement la monoparentalité-projet avec la monoparentalité-subie (celle des divorces et de leurs problèmes économiques et sociaux) pour défendre le modèle unique de la «vraie famille» Papa-Maman-Enfants (et c’est vrai), qu’il y a des hétérosexuels acceptés en PMA qui ne sont pas infertiles (et c’est vrai) ou qui ne souffrent pas d’une infertilité pathologique mais uniquement liée à l’âge (et c’est vrai), et enfin qu’il y a des femmes lesbiennes comme des femmes hétérosexuelles seules qui souffrent elles aussi de problèmes d’infertilité pathologique (et c’est vrai). Tout cela on doit le dire, on va le dire.
Mais si les sciences sociales ont eu une chose à dire (depuis près de vingt ans pour certaines et certains d’entre nous), c’est que tout cela laisse encore de côté le véritable cœur du scandale social, juridique et humain consistant à traiter différemment, en matière de remboursement par la Sécurité sociale, les femmes selon qu’elles soient en couples ou seules, hétérosexuelles ou homosexuelles.
Car il y a discrimination quand on traite différemment des situations semblables. Et c'est là que les opposants se croient forts. «Mais ce n'est pas semblable !» Voilà l'argument de Bruno Retailleau, Muriel Jourda et, au-delà, d'Alliance Vita, la Manif pour tous, et leurs quelques amis «de gauche» opposés à la PMA pour toutes (Sylviane Agacinski et José Bové, par exemple). Un homme, c'est pas une femme, héhé ! Un couple de femmes ne procrée pas, héhé ! Une femme seule non plus, héhé ! Or la PMA c'est fait pour soigner, héhé ! C'est pour ça qu'on la rembourse, héhé !
Or tous ces arguments prétendument de «bon sens» tombent dès lors qu’on reconnaît tout simplement les faits. Quels sont-ils ? A côté de la PMA thérapeutique, qui existe à n’en pas douter et qui est immensément majoritaire, nous avons créé depuis le début, comme les autres pays, une autre PMA, une PMA sociale, qui pour sa part ne soigne rien mais qui permet pourtant de faire naître un enfant : la PMA avec tiers donneur. C’est uniquement cette PMA sociale qui est en cause ici. Elle place les couples de sexe différent et de même sexe, ainsi que les femmes seules, dans des situations totalement identiques et il convient d’en prendre la mesure.
A) Vous êtes un couple hétérosexuel en âge de procréer. Mais voilà, votre couple est infertile. Par exemple : azoospermie chez monsieur. La nature ne vous permet pas de procréer un enfant ensemble. Les thérapies disponibles non plus. On pourrait vous dire (ou vous faire comprendre) qu’il n’y a pas d’autre solution, face à l’impossible procréation biologique, que d’abandonner cette idée. Choisissez plutôt l’adoption. Ou bien renoncez à devenir parents. Ou bien, changez de partenaire. Mais ce n’est pas du tout ce qu’on vous dit dans nos centres de PMA. Ce qu’on vous dit c’est que, par chance, il y a aussi une autre solution : engendrer cet enfant avec l’aide d’une tierce personne, qui donne de sa capacité procréative pour vous permettre d’avoir un enfant. C’est la PMA avec tiers donneur. Elle est remboursée par la Sécurité sociale.
B) Vous êtes un couple de lesbiennes ou une femme seule. Vous savez bien (merci à ceux qui vous prennent pour des débiles mentales) que la nature ne permet pas à deux femmes ou à une femme seule de procréer un enfant sans homme. Les thérapies disponibles non plus. Mais vous savez aussi qu’il y a une autre solution : engendrer cet enfant avec l’aide d’un tiers donneur, qui donne de sa capacité procréative pour vous permettre d’avoir un enfant. C’est la PMA avec don. Elle est remboursée par la Sécurité sociale. Oui mais pas pour vous, disent maintenant les députés conservateurs du Sénat.
Cherchez l’erreur. Demandez-vous pourquoi cela fait des années que nous nous battons, en tant que sociologues, anthropologues ou juristes ayant bien étudié le sujet, pour faire reconnaître tout simplement dans l’opinion française que la PMA avec don existe, que c’est un arrangement social institué avec l’aide de la médecine, que cet arrangement n’a fait que du bonheur, et que le seul et unique problème est qu’en France on s’obstine toujours à la dissimuler comme si elle était honteuse et à la maquiller en un supposé «traitement» de l’infertilité.
Tout le débat critique que nous avons porté à partir de nos travaux sur la tradition du mensonge et du secret ; le poids du «ni vu ni connu» dans le modèle bioéthique français de 1994 ; sur les parents stériles qu’on fait passer pour les géniteurs ; sur le prétendu «traitement» par des gamètes «médicaments» que serait le recours au don, selon la rhétorique des anciens patrons des Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos) ; sur les montages juridiques choisis pour instituer une filiation pseudo charnelle ; sur la sélection d’un donneur du même groupe sanguin que le père stérile uniquement pour que l’enfant ne se doute jamais de rien ; sur le droit d’accès aux origines ou sur son interdiction ; sur le refus d’accepter en PMA les couples de femmes et les femmes seules ; tout cela n’a au fond qu’un seul sujet : allons-nous enfin reconnaître et assumer, en France, en 2020, qu’il est parfaitement possible et légitime de fonder une famille grâce à un don ? Allons-nous reconnaître que, dès lors que notre droit civil, notre droit commun, a institué en 2013 l’homoparenté (un enfant peut avoir deux pères ou deux mères), c’est une discrimination que de réserver cette façon de créer une famille aux seuls couples de sexe différent ? Et que c’est une discrimination que de la rembourser seulement pour eux ?
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Ce débat de fond sur la légitimité des familles issues de don, les courants les plus conservateurs ne veulent pas l'avoir et on sait pourquoi : ils sont contre toute PMA avec don. On oublie trop souvent que la Manif pour tous, fidèle à la discipline de l'Eglise de Rome (Donum vitae, 1987), en a demandé l'interdiction – pour tous, y compris les hétéros qui en bénéficient depuis un demi-siècle – dans sa contribution aux derniers états généraux de bioéthique. Ils sont contre le don par principe, car pour eux le seul «vrai parent» est le parent biologique. Mais ils savent aussi que ce combat général pour l'interdiction du don est déjà perdu, et c'est pourquoi ils se réfugient dans la défense du «secret de famille» qui a toujours accompagné la vision traditionaliste de la respectabilité : «C'est mal, mais on peut le faire, si on le cache.»
Le gouvernement, hélas, n’a pas été jusqu’au bout de ce qu’on croyait être l’engagement d’Emmanuel Macron dans sa campagne. Certes, il ouvre la PMA pour toutes mais il a voulu faire des compromis, donner un peu ici et un peu là, sans aller jusqu’au cœur de l’enjeu éthique et politique consistant à défendre clairement la légitimité du recours au don, en l’appuyant sur des valeurs progressistes et humanistes fortes : liberté ; égalité ; respect de l’autre ; responsabilité des adultes face aux enfants ; accompagnement et valorisation par le droit de la démarche des parents d’intention – projet parental, engagement solidaire – sans déni des corps ni de l’accouchement ; mode d’établissement de la filiation par «reconnaissance conjointe anticipée» identique pour tous les enfants issus de don ; respect de l’identité narrative de l’enfant ; véritable droit d’accès aux origines pour tous ceux qui le souhaitent à leur majorité ; droit de solliciter les anciens donneurs pour recueillir leur avis ; respect accru des donneuses et donneurs, enfin.
Aujourd’hui, le gouvernement donne le sentiment d’être prisonnier de ses compromis, qui ne sont pas de sages compromis car ils ont été faits au prix du sens de la réforme. Il peine à fonder un discours clair sur le sens véritable et la portée de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Il est faible dans sa défense du remboursement pour toutes car il ne démontre pas pourquoi il y a discrimination, ne voulant pas affaiblir les promesses qu’il a faites à droite (on ne touche pas à la filiation des hétérosexuels, qui doivent pouvoir continuer à cacher à l’enfant le don, on maintient pour eux la fiction du « traitement »).
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Mais nous sommes nombreux, sans doute même largement majoritaires en France si on en croit les sondages, à penser que le temps est venu d’avancer dans le sens de ces valeurs humanistes fortes que j’ai rappelées. Malgré les rivalités habituelles dans le mouvement associatif, on sent bien la force du mouvement de fond vers la sortie de la logique du secret et la reconnaissance sociale de la légitimité de toutes les familles issues de don, qu’elles soient hétéroparentales ou homoparentales, biparentales ou monoparentales. Nous voyons aussi qu’hier à l’Assemblée, des députés LREM mais aussi d’autres groupes de la gauche, du centre et de la droite, et aujourd’hui des sénateurs du Groupe socialiste et républicain et une fraction des sénateurs LR portent ces attentes de justice. Ils ne manquent pas de courage face à la vague de réaction hyperconservatrice qui s’exprime aujourd’hui dans le milieu politique. Ils sont l’espoir que cette réforme ne soit pas, une fois de plus, une belle occasion manquée.