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Libération
Amérique du Sud

Jacinto Aceri, un héraut pour les Guaranis

A l'ère de l'anthropocènedossier
Le porte-voix passionné de cette ethnie d’Amérique du Sud prendra la parole à Lyon samedi.
- AFP PICTURES OF THE YEAR 2019 - Smokes rises from forest fires in Altamira, Para state, Brazil, in the Amazon basin, on August 27, 2019. - Brazil will accept foreign aid to help fight fires in the Amazon rainforest on the condition the Latin American country controls the money, the president's spokesman said Tuesday. (Photo by Joao Laet / AFP) (AFP)
publié le 23 janvier 2020 à 17h06

C’est donc lui, le «coordonnateur de la communication» dans le «Conseil continental de la nation guaranie» (CCNAGUA). A lire le titre pompeux, à examiner le CV - une succession de postes de communicant, de plus en plus importants à mesure que les années ont passé - et à balayer la kyrielle de photographies qui le montrent microphone à la main, on s’attendait à discuter avec un communicant sans aspérité, au discours rodé, professionnellement impersonnel… Il n’en est rien. Dès la première minute de la conversation téléphonique, on comprend que Jacinto Aceri est plutôt le genre d’homme avec qui on aimerait bien poursuivre l’interview autour d’un verre.

«Culture de la joie». Son rôle actuel de représentant régional de la communauté guaranie ? Une succession «d'opportunités» et de «propositions», explique-t-il en égrenant les étapes pour montrer que, finalement, tout ça n'est qu'une progression on ne peut plus normale. «Peut-être que c'était le destin que j'avais à vivre : depuis que je suis petit, j'aime étudier.» Il part de sa province natale du nord de l'Argentine pour aller se former en Bolivie, convaincu que la communication est l'outil dont il a besoin pour défendre ses origines. Les particularités de la nation guaranie, «il faudrait des heures pour commencer à les expliquer», mais si on devait résumer à très gros traits les valeurs de cette ethnie répartie entre les régions amazoniennes d'Argentine, du Brésil, du Paraguay, de l'Uruguay, de la Bolivie et de l'Equateur, on pourrait employer des mots comme «la solidarité, le respect, la joie, l'union».

«La culture guaranie est une culture de la joie, continue-t-il. Nous pourrions considérer notre langue comme la langue de la nature.» Jacinto Aceri a grandi en gardant un souvenir ému des célébrations annuelles au cours desquelles on rend hommage au «créateur» autour d'un grand repas, au travers de marches et de danses. Un moment de partage, une fête comme celle de Noël mais «qui n'est pas faite pour commercialiser quelque chose». Car les Guaranis n'ont pas été épargnés par le scénario bien connu : les Occidentaux sont arrivés, ont imposé leur culture et tenté de faire disparaître celle des autres. «La colonisation, c'est un mot utilisé pour désigner un fait de violence, explique le communicant, avec calme et précision : Il s'agit d'imposer quelque chose, et, pour ce faire, c'est la violence qui est employée.»

Les Guaranis ont vu le territoire sur lequel ils vivaient découpé entre plusieurs Etats, comme d'autres nations indigènes. «Indigène, c'est d'ailleurs un terme qu'il faut déconstruire», ajoute-t-il, puisqu'il n'y a pas une unique culture indigène. «Pourquoi ne les nomme-t-on pas, pourquoi ne parle-t-on pas de la nation X ou Y ?»

Le travail est loin d'être achevé : la colonisation persiste, et passe aujourd'hui par d'autres biais. Le communicant la combat sur son propre terrain, puisque «la culture dominante a réussi à imposer ses produits dans d'autres strates de la société grâce à la massification des technologies de communication».

«Modes de vie». Dans ce contexte, être visible, c'est donc survivre : c'est pour cela que Jacinto Aceri sillonne la région depuis plusieurs années. En octobre, il était aux côtés du candidat «indigène» aux élections de Bolivie. A présent, il s'apprête à prendre l'avion pour porter son discours jusqu'à l'Ecole de l'anthropocène à Lyon, un événement «extrêmement important» parce que «c'est l'occasion d'avoir un débat sur les différents modes de vie qui existent sur la planète». Jacinto y participera à la conférence intitulée «Décoloniser l'écologie» : ça ne s'invente pas. L'homme veut amener l'exemple de sa culture guaranie. Mais il faut être modeste : il s'agit moins de servir de modèle que d'aider à penser à des sociétés différentes, et prouver qu'il existe aujourd'hui encore autre chose que la «société urbanisée».

Quand on lui parle du futur incertain, il approuve vigoureusement. «Je suis préoccupé par tout ce qui vient pour la nouvelle génération, notamment son lien à l'identité culturelle.» Normal, pour le père d'un petit garçon qui joue en bas pendant que nous parlons. En bas ? «En fait, je t'appelle perché en haut d'un arbre, pour avoir du réseau !» Voilà qui va compliquer le verre après l'interview.