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Chronique «Economiques»

Pour les retraites, l’Europe a un plan

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Si la réforme des retraites passe, les prestations vont baisser, c’est mécanique. Ce qui devrait pousser les Français à ouvrir des produits d’épargne. Quelle coïncidence : l’industrie est en train de s’organiser sur ce sujet !
Aux bureaux de la compagnie américaine BlackRock, à New York, en 2014. (ANDREW BURTON/Photo Andrew Burton. Getty. AFP)
publié le 27 janvier 2020 à 17h06

Le soutien populaire à la grève a montré qu’une majorité de Français n’a pas foi dans l’histoire libérale ; celle qui consiste à faire croire que, face à la concurrence internationale, l’issue contre le déclin français est de détricoter son système de protection social. Le soutien massif s’explique probablement par le fait que malgré un débat très technique, le principal message a été bien compris : pour financer le système actuel, on avait le choix entre augmenter les recettes (les cotisations) ou baisser le niveau de prestation, et on a choisi l’option deux.

Si cette réforme passe, les retraites vont baisser, c’est mécanique : en passant au système à points, on fixe d’abord les cotisations et donc les recettes et on ajuste ensuite le niveau des retraites. Autrement dit, un nombre plus important de retraités va se partager un gâteau qui ne grossira pas. C’est ce que l’économiste Michael Zemmour explique de façon convaincante (1). La philosophie de la réforme est donc assez simple : la couche de répartition du système actuel est un minimum garanti, une sorte de plancher, mais elle ne sera pas suffisante. Il y a deux couches en plus : la complémentaire obligatoire où on cotise en commun avec d’autres salariés… et le plan épargne retraite qui est destiné à constituer un patrimoine pour la retraite. Assez logiquement, une baisse des prestations devrait inciter les Français à ouvrir des plans d’épargne.

Ça tombe bien, parce que l'industrie est en train de s'organiser pour nous faciliter l'accès à «un produit d'épargne simple, sûr, transparent, favorable aux consommateurs, proposé à un prix raisonnable et transférable dans toute l'Union européenne». Si, si… Le Parlement et le Conseil européen ont lancé le produit paneuropéen de l'épargne-retraite individuelle (PEPP) en juillet 2019 (2), produit qui «complétera les régimes existants dans les États membres». Le texte officiel du règlement énonce des arguments économiques que l'économiste que je suis mettent franchement mal à l'aise : plus d'épargne retraite individuelle permettra de financer plus d'investissement dans l'économie réelle ; sauf que l'argument, finance-croissance est sérieusement remis en question aujourd'hui qu'on a compris que trop de finance nuit à la croissance et qu'elle est associée à plus d'inégalités (3).

Second argument : un produit paneuropéen permet de transférer son capital facilement quand on part travailler dans un autre pays membre, et donc cela favorise la mobilité des travailleurs. Seriously ? Et la portabilité des droits sociaux dans l'Union, comme le chômage, la retraite, la maladie ? Ce n'est pas plutôt ça, le vrai frein à la mobilité du travail en Europe aujourd'hui ?

Troisième argument : un seul produit pour plus de transparence et plus de concurrence entre les différents gérants de fonds et assureurs. Le bon vieil argument de la concurrence qui permet de baisser les prix. Sauf qu’aux Etats-Unis (là où le marché est unifié et la retraite capitalisée…), on observe une hyperconcentration des gérants de fonds. Black Rock, Vanguard, Fidelity et quelques mastodontes se partagent l’épargne des Américains et cela a des effets pervers sur la concurrence justement : quand ils possèdent dans leur «portefeuille» des titres de plusieurs concurrents sur un même secteur (plusieurs grosses entreprises de pharmacologie par exemple), on les soupçonne de casser la concurrence du secteur pour augmenter leurs profits (les médicaments sont vendus plus cher par exemple).

En réalité, le sujet en jeu, c'est bien d'avoir un seul produit pour collecter plus facilement l'épargne des ménages européens. L'Autorité européenne en charge des assurances (EIOPA) a pour mission la mise en œuvre du PEPP d'ici 2021 avec un groupe d'experts dont la composition est… bluffante (4). Et là, on se met à douter de l'argument de vente «favorable aux consommateurs» : sur 21 membres, 13 représentants directs de l'industrie (dont Fidelity, Vanguard), 2 représentants de fédérations européennes de fonds de pension et d'assurance, seulement 2 membres de représentants de consommateurs et d'épargnants… Le seul universitaire dans le groupe d'experts est aussi au conseil d'administration d'une société de gestion filiale de la plus grosse banque italienne, déjà représentée…. Et cerise sur le gâteau : une seule femme sur les 21 membres. Non décidément, ils n'ont même pas fait semblant.

(1) https://www.humanite.fr/michael-zemmour-le-retrait-de-lage-pivot-est-une-simple-modalite-technique-683124

(2) Le nouveau cadre européen d'épargne retraite par capitalisation (PEPP) : une opportunité pour la gestion d'actifs, Jacques-Olivier CHARRON, 26/12/2019.

(3) Voir «Reassessing the impact of finance on growth» Cecchetti, S. G., et Kharroubi, E. (2012) et The Circular Relationship between Inequality , Leverage , and Financial Crises, ournal of Economic Surveys, 2017, vol. 31, no 2, p. 463-496 R.Bazillier et J. Héricourt.

(4) https://eiopa.europa.eu/regulation-supervision/pensions/personal-pensions

Cette chronique est assurée en alternance par Ioana Marinescu, Anne Laure Delatte, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard.