La politique n'est pas un métier mais c'est une culture, une expertise, un savoir-faire, une expérience, au moins un apprentissage et, dans certains domaines, une technique. A mi-mandat d'Emmanuel Macron, la République en marche n'en a toujours pas pris conscience ou, si elle l'a fait, n'a pas su en tirer les conséquences. Novice elle était, novice elle demeure. Elle n'existe certes que depuis trois ans mais en politique elle n'a rien appris ou, pire, n'a rien compris. Elle disposait pourtant au départ de solides atouts. Un dégagisme puissant qui lui offrait le plus large espace jamais ouvert sous la Ve République. Des adversaires disloqués, traumatisés, ahuris par une situation complètement atypique. Une Marine Le Pen dévalorisée, les Républicains en miettes, assommés par tant de déroutes après tant d'espoirs, le Parti socialiste déchiré portant le grand deuil de son unité et même de son idéologie, des écologistes marginalisés, un Jean-Luc Mélenchon dépité et amer : la voie était dégagée comme jamais. Au palais de l'Elysée s'installait un jeune président séduisant et novateur, taillé pour se faire l'architecte d'un nouveau système politique, d'un style d'autorité, d'un regard plus neuf sur le monde extérieur. Le gouvernement d'Edouard Philippe comptait quelques solides piliers expérimentés (Gérard Collomb, François Bayrou, Jean-Yves Le Drian, Richard Ferrand, Bruno Le Maire), une star (Nicolas Hulot), plus beaucoup de grands commis de l'Etat, d'experts renommés tout prêts à porter des réformes. Il flottait une brise d'espérance et - fait incongru en France - d'optimisme.
Bientôt trois années ont passé. La popularité présidentielle s’est envolée, ne laissant subsister que la fidélité d’un socle minoritaire, la déception d’une majorité dépitée, de nouveau pessimiste, et la haine intense, menaçante d’une autre minorité envers le chef de l’Etat. Le gouvernement, mené d’une main ferme par le Premier ministre, a collectionné les départs et les démissions. La France se réforme de crise en crise, comme c’est son mode de fonctionnement rituel, avec cependant un très atypique, très révélateur et très âpre mouvement des gilets jaunes, puis un mouvement de grève dans les services publics, bien plus banal mais combatif. Beaucoup de changements, beaucoup d’insatisfactions, beaucoup d’amertumes. La France a cessé de rêver pour grogner, pester, protester, rejeter, détester comme le peuple le plus mécontent de la terre.
Durant ce temps-là, la République en marche aurait pu, aurait dû au moins, s'installer, s'organiser, s'enraciner. Rien de tout cela ne s'est produit. LREM n'est plus un mouvement mais n'est pas devenu un parti. C'est une formation fantôme, déstructurée, déjà fissurée, ballottée, roulant et tangent comme un bateau sans quille. Elle n'a pas de leader : ni chef de parti, ni chef de file parlementaire. Quand François Mitterrand est parvenu au pouvoir en 1981, l'autre grande césure politique de la Ve République avec 2017, il a confié le PS à un Lionel Jospin qui ne manquait ni d'autorité, ni d'envergure, ni de notoriété. Il a placé Pierre Joxe à la tête du pléthorique groupe parlementaire de l'Assemblé nationale. Avec lui, les multiples courants du PS ne risquaient pas de sortir de leurs lits. Aujourd'hui, LREM, parti majoritaire au Palais Bourbon, pèse bien peu dans le débat national et médiatique. Des ministres, oui ; quelques députés, certes. Mais des chefs de file du parti ? Inaudibles. Le groupe parlementaire, lui, se divise en actifs, en passifs et en absents. Par charité chrétienne, il est recommandé de ne pas préciser les proportions. Encore semble-t-il de plus en plus menacé par la maladie de la fronde. Celle-ci a saboté le quinquennat de François Hollande à force de réquisitoires et de manœuvres tortueuses venues du cœur de la majorité. Elle rôde désormais au sein du groupe LREM. La France, ou comment ronger son propre camp de l'intérieur.
La campagne des élections municipales illustre évidemment ce noviciat raté. La République en marche y étale toutes ses faiblesses et ses manques. La dissidence de Cédric Villani rend improbable une conquête de Paris qui était pourtant presque promise au parti présidentiel, lequel y caracolait encore avec 33 % des voix aux élections européennes. Un génie mathématique ne fait pas un génie politique. Même si Benjamin Griveaux ne fait pas rêver, notre médaille Fields coupe les jarrets de son propre parti là même où celui-ci pouvait l'emporter spectaculairement. Qui a géré ce fiasco ? Paris n'est d'ailleurs que la capitale de la dissidence mais d'autres exemples abondent, à commencer par Lyon. Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Besançon et dix autres grandes villes témoignent d'une incapacité globale à gérer des alliances et à piloter des investitures, comme si LREM ressemblait à l'Allemagne du XVIIIe avec ses royaumes, ses principautés, ses villes libres, ses ports francs, ses Grands électeurs et ses princes-évêques. Diriger une campagne n'est certes jamais une sinécure mais c'est tout de même infiniment plus facile que de réformer les retraites. Du coup, paradoxalement, alors qu'Emmanuel Macron est peut-être en train de gagner la bataille économique, il risque fort de perdre la bataille politique. Il a balayé la vieille scène politique mais il ne parvient pas à en mettre en place une nouvelle. Travail de professionnel en économie, travail d'amateur en politique.