Tribune. Un matin, en janvier, avec des compagnon·ne·s d'infortune, nous nous sommes rendu compte, sur un fil d'actualité, qu'aucun·e de nous n'avait été rémunéré·e pour sa participation en juin en tant que membre de jury – DNA et DNSEP, diplôme national d'art et diplôme national supérieur d'expression plastique, niveaux bac+3 et bac+5 – dans différentes écoles supérieures d'art qui relèvent de la tutelle de votre ministère.
Alors nous nous sommes interrogé·e·s, nous nous sommes demandé·e·s si vous – les gens qui travaillent avec vous, pour vous, au ministère, dans les différents ministères, pour l’Etat – si vous, tout·e·s, vous étiez payé·e·s neuf mois après avoir accompli votre travail. Si vos salaires, honoraires, remboursements étaient traités en neuf mois.
Nous nous sommes interrogé·e·s, nous nous sommes demandé·e·s ce qu’il arriverait si nous, nous ne payions nos loyers, nos factures d’eau, de gaz, d’électricité, nos crèches, notre boulanger·ère que neuf mois après.
Alors nous avons pensé, nous avons pensé, que peut-être l’Etat français payait tou·te·s ses employé·e·s neuf mois après, que c’était normal, que nous n’étions pas au courant. Mais en attendant, ni notre bailleur·euse, ni notre crèche, ni notre boulanger·ère n’acceptaient d’être payé·e·s neuf mois après. Alors comment faire ?
Nous nous sommes alors rappelé·e·s que vous deviez être dans la même situation d’infortune, la même enseigne, et nous voulions vous demander si vous n’aviez pas des tric-trac-trucs à partager. Des adresses, des propriétaires, des pourvoyeur·euse·s d’eau, d’électricité, un·e opérateur·rice mobile ! Enfin des services qui acceptent le paiement à neuf mois. Cela nous aiderait grandement.
Et puis… Et puis, nous avons divagué, et nous nous sommes interrogé·e·s sur la signification de ces neuf mois. Nous nous demandions si l’Etat appréhendait ces neuf mois, comme si ces 600 euros d’honoraires brut, pesaient 3 kilos et mesuraient 50 cm.
Et puis nous nous sommes emporté.e.s, emporté.e.s dans un flot d’interrogations… pourquoi des honoraires si bas pour des gens déjà dans le besoin, pourquoi un paiement des mois après nous empêchant de cotiser pour la retraite, pourquoi l’Etat lui-même agit-il de la sorte avec des gens qui n’ont déjà aucun statut, pourquoi précariser les plus précaires, enfin… etc.
Et puis, et puis nous avons compris. Nous avons compris que nous étions encore les dupes en acceptant de servir un jeu qui nous dessert et avons donc décidé communément de refuser toute participation à des jurys pour l’année 2020. Et si aucun engagement n’est pris, peut-être peut-on étendre à 2021 ? Car, à donner si peu de valeur aux diplômes, à celles et ceux qui y travaillent, vous dédaignez aussi les étudiants et les écoles qui les forment.
Alors nous en sommes là. Un vent souffle, pour nous tou·te·s. Un temps se propose nouveau et audacieux.
Premiers signataires : Julie Béna artiste, membre du jury DNSEP, Toulouse 2019, Antonio Contador artiste, Florian Gaité, enseignant en philosophie et critique d'art, Laura Gozlan artiste et enseignante, Géraldine Gourbe critique d'art et commissaire d'exposition, Nantes, Eva Barois De Caevel curatrice indépendante, professeure à l'ENSBA Lyon, Pierre-Nicolas Ledoux artiste, Dominique Gilliot artiste, Régis Perray artiste, Liv Schulman artiste, Eric Mangion directeur du Centre national d'art contemporain de la Villa Arson, Gaelle Choisne artiste, Carole Douillard artiste-auteure, Laetitia Paviani auteure, Dominique Hurth artiste, Eva Barto artiste et enseignante, Clément Delépine curator, Eva Nielsen artiste, Raphaël Barontini artiste, Carole Douillard artiste-auteure, Sylvie Fanchon artiste, Sonia Dermience curatrice, fondatrice de Komplot, Bruxelles, Julien Tiberi artiste, Pauline Curnier Jardin, artiste, Laetitia Badaut Haussmann artiste, Raphaël Pirenne historien de l'art, Damien Airault commissaire d'exposition, enseignant, Julie Portier enseignante, critique d'art, commissaire d'exposition, Antoine Renard artiste-auteur, Justin Fitzpatrick artiste, Lina Hentgen artiste, Remi Parcollet historien de l'art, Georgia René-Worms artiste, Juliette Desorgues curator, Jérôme Cotinet-Alphaize Président du CEA (Association Française des Commissaires d'Exposition) et membre du conseil d'administration du CIPAC, Madeleine Aktypi artiste, Marielle Chabal artiste, Laurent Le Deunff artiste, Bevis Martin & Charlie Youle artistes, Martine Aballéa artiste, Jean-Christophe Arcos commissaire de po et critique d'art, ordinateur du réseau Marseille Expos, Marseille/Paris, Margaux Bonopera curatrice, Irwin Marchal commissaire d'exposition, fondateur de la galerie Silicone, Bordeaux, Kristina Solomoukha artiste, enseignante à l'ENSAD, Paris, Pedro Morais critique d'art, commissaire d'exposition, journaliste, Paris, Romain Gandolphe artiste, Lyon, Valeria Cetraro galeriste, Paris, Ann Guillaume artiste, Paris/Nice, Grégory Chatonsky artiste, chercheur à l'école normale supérieure, Paris, Eric Tabuchi artiste, Ile de France, Vincent Romagny critique d'art et commissaire d'exposition, Paris, Céline Duval artiste et professeure à l'ésam, Caen-Cherbourg, membre du jury de DNSEP de l'ésam, juin 2019, Maude Maris artiste, membre du jury de DNSEP de l'ésam, juin 2019, Céline Vaché-Olivieri artiste, Maxime Bichon artiste, Giuliana Zefferi artiste et enseignante contractuelle en arts appliqués à l'école Boulle, Cécile Paris artiste, Davide Bertocchi artiste, Karina Bisch artiste, Santiago Reyes artiste, Paul Maheke artiste, Violaine Lochu artiste, Paris, Guillaume Aubry artiste, architecte et enseignant.