La victoire d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2017 est à la fois le produit et l’accélérateur de la déconstruction du système politique français. Emmanuel Macron n’a été élu président que par ce que le système politique français se décomposait et que sa propre audace l’habitait. Son élection, loin d’aboutir à une recomposition, a au contraire accentué la déconstruction.
La société politique française est aujourd’hui liquide, donc vulnérable, exposée à un mascaret ou à une tempête. Les deux partis d’alternance qui se sont succédé au pouvoir depuis quarante ans, le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (LR), jadis RPR, puis UMP, sont sinistrés depuis le 7 mai 2017 et le restent. Les élections législatives les ont lourdement sanctionnés, les élections européennes les ont humiliés. Dans un mois, les élections municipales leur offriront sans doute l’illusion de la convalescence, puisque en tant qu’ex-partis du gouvernement, ils sont les mieux enracinés, avec de nombreux maires sortants et de bons candidats. Restera alors qu’à deux années de l’élection présidentielle de 2022, ils n’ont ni projets de société, ni candidats naturels, ni alliés, ni espaces.
Le Parti socialiste est en jachère et LR est pris en tenaille entre La République en marche (LREM) et le Rassemblement national (RN). Le système politique français a perdu ses deux poutres maîtresses.
La République en marche avait pour vocation et pour logique de devenir à son tour le pilier central du système politique français. Cette espérance et cette ambition sont en train de s’éloigner. Le vieux monde disparaît, le nouveau monde n’apparaît pas. La République en marche approche les élections municipales dans le plus grand désordre et avec peu d’espoir. Elle a dû affronter difficilement, douloureusement l’année des gilets jaunes qui a suggéré que l’élection de 2017 relevait peut-être plus de la démocratie formelle que de la démocratie réelle.
Elle mesure maintenant son impopularité, en tout cas sa très mauvaise passe, face à ceux qui combattent la réforme des retraites. Son implantation locale est très faible, logique pour une nouvelle formation, sa représentation parlementaire peine à trouver sa place et son rôle. Reste pour l’essentiel l’exécutif macronien (présidence, gouvernement) : un pouvoir robuste et légitime mais parisien et isolé face à une France de plus en plus frondeuse et tumultueuse. Comme lors d’une transition politique sans débouché perceptible.
Les insoumis ont tenu pendant un an le rôle de principal adversaire d’Emmanuel Macron. Talentueux à l’Assemblée nationale, actifs sur le terrain, ils bénéficiaient avec Jean-Luc Mélenchon du leader d’opposition le plus charismatique et le plus pittoresque. Quelques incartades absurdes, la déception d’échouer à mobiliser les foules comme ils l’espéraient les ont fait revenir sur terre. La bataille des retraites leur offre l’occasion de reprendre l’initiative politique mais ils n’ont rien à attendre des élections municipales. Ils dominent la gauche mais la gauche est dominée.
Leurs principaux rivaux sons désormais les Verts. L’environnement a fini par s’imposer comme la nouvelle priorité dans l’esprit des Français. Yannick Jadot caresse manifestement l’espoir de surgir en 2022 comme le nouveau candidat disruptif balayant tous les pronostics. Tous les autres partis se hâtent de se repeindre en vert et le chef de l’Etat agite déjà ses pinceaux. La question est maintenant de savoir si les Français ont un désir d’écologie ou d’écologistes. Les Verts sont plus une idée qu’une force mais la société liquide leur convient bien.
Seule forteresse de béton dans ce système en carton-pâte, le Rassemblement national. C’est un petit parti mais avec une grande clientèle. Les militants sont rares mais les électeurs sont déterminés, tous acquis aux idées courtes de Marine Le Pen, bien plus résolument que les autres électorats, portant en eux colère et désir de vengeance. L’extrême droite est malheureusement la seule île solide dans la mer agitée de la politique française. Elle bénéficie beaucoup plus que les autres formations du fourmillement des réseaux sociaux. Les polémiques, le complotisme, les calomnies, les fantasmes qui y triomphent, la haine que favorise l’anonymat s’accordent à son univers. La démocratie d’opinion, la démocratie d’émotion, la démocratie de ressentiment que traverse la France semble taillée pour elle. Non pas qu’elle soit irrésistible ni que ses thèses puissent convaincre au-delà de ses troupes mais une stratégie bâtie sur des sentiments négatifs peut réussir dans une France perpétuellement mécontente et inflammable.
La colère est contagieuse, surtout dans un univers politique aussi déstructuré que le nôtre. Notre société politique liquide manque cruellement de digues et de brise-lames. Emmanuel Macron s’est affaibli sans que ses adversaires se soient renforcés. Il joue de la raison quand ses opposants principaux - le Rassemblement national, les insoumis, les Verts - jouent des passions. Un réformisme chahuté face aux orages hostiles. Hardiesse ou témérité.