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Chronique «Politiques»

49.3 : une victoire de Jean-Luc Mélenchon

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Le leader de LFI a placé l’exécutif devant un choix impossible : renoncement ou passage en force. En choisissant la seconde option, Emmanuel Macron altère son image, sa popularité et son socle politique.
(Illustration Libération)
publié le 4 mars 2020 à 17h31

Jean-Luc Mélenchon a gagné : le Premier ministre a dû se résoudre à déclencher la mécanique infernale du 49.3. Ce n’était pas ce qu’Edouard Philippe souhaitait, c’est ce que le leader des insoumis l’a contraint à faire. Le chef du gouvernement était poussé par Emmanuel Macron à mener la réforme des retraites à marche forcée, afin de clore le dossier avant l’été, avant la fin de la session parlementaire et pouvoir ainsi passer au dernier acte, préélectoral, du quinquennat. Jean-Luc Mélenchon a si bien organisé l’obstruction parlementaire qu’Edouard Philippe s’est enlisé. Il lui fallait donc soit renoncer à respecter le calendrier présidentiel, un grave échec puisqu’il s’agit de la réforme la plus ambitieuse du quinquennat, soit affronter la malédiction du 49.3. Il a préféré la malédiction au renoncement. Jean-Luc Mélenchon a donc été le meilleur manœuvrier des deux, le plus actif, le plus technique (avec l’aide précieuse d’André Chassaigne, président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, un expert) et, bien entendu, le plus tonitruant, alternant comme personne manœuvre dilatoire, indignation théâtrale et exhumation implacable des points faibles du texte. D’une parfaite mauvaise foi dans la forme, d’une efficace pugnacité sur le fond. Un épisode parlementaire qui marquera.

Non point que le recours à l’article 49.3 soit illégitime. Contrairement à ce qu’a clamé éloquemment le leader des insoumis, il est au contraire parfaitement constitutionnel, a d’ailleurs été fréquemment employé aussi bien par des gouvernements de gauche que par des gouvernements de droite et a déjà été utilisé dans des circonstances comparables à celle-ci. Le débat ne s’achève d’ailleurs en rien pour autant : le texte va aller au Sénat où le 49.3 n’existe pas puisque le palais du Luxembourg ne peut pas renverser le gouvernement. Gérard Larcher saura prendre le temps de la discussion et sans doute y intégrer les conclusions de la conférence de financement, ce qui est aussi souhaitable que logique. Puis le texte reviendra au Palais-Bourbon.

Après le 49.3, le débat continue donc. Il y a passage en force mais pas coup de force. Des amendements utiles ont été pris en compte, d'autres le seront. Le texte sera précisé, complété, amélioré et voté. Le 49.3 aura fonctionné. La démocratie parlementaire n'est pas pour autant en péril. Si Emmanuel Macron est effectivement de tempérament autoritaire, si la Ve République organise incontestablement la suprématie de l'exécutif sur le législatif, la tentation du césarisme est un mythe. D'ailleurs, où serait le césarisme dans ce mandat ou le débat n'a cessé d'être aussi pugnace et aussi ouvert, où la contestation n'a cessé d'être aussi constante que visible ? Jean-Luc Mélenchon ne pourra pas habiller Emmanuel Macron du costume d'Adolphe Thiers.

En revanche, le leader des insoumis sera parfaitement parvenu à affaiblir la position politique d’Emmanuel Macron. Il ne pourra pas empêcher la réforme des retraites d’être votée mais en la combattant comme il l’a fait, il aura sensiblement altéré l’image, la popularité et le socle politique du chef de l’Etat. En ce sens, le piège du 49.3 aura parfaitement fonctionné, apothéose du chapelet d’erreurs commises par l’exécutif dans sa gestion de la réforme. Deux ans de concertations pour aboutir à tant de désaccords ! Un texte lacunaire, jugé sévèrement par l’équitable Conseil d’Etat et qui devra bientôt affronter le jugement du Conseil constitutionnel.

Une procédure de bon sens, le temps législatif programmé, aurait pu éviter la féroce guerre de tranchée à laquelle on vient d’assister si elle avait été proposée suffisamment en amont. Mais il restera un mélange maladroit des objectifs sociaux de la réforme et des contraintes financières qui auraient dû être adoptées séparément, au lendemain du vote du texte. Une politique d’explication défaillante qui n’a cessé d’entretenir le flou, de créer l’angoisse et de s’exposer aux polémiques, aux faux procès, aux informations tronquées et truquées qui se sont multipliées sur les réseaux sociaux. Une majorité parlementaire qui s’est bien battue, bien mobilisée mais aussi bien dispersée entre sociaux-démocrates et libéraux sociaux. Des syndicats profondément divisés, c’était inévitable, mais où le dialogue avec les réformistes a été soupçonneux, âpre et vindicatif.

Au total, une réforme très ambitieuse qui se voulait un marqueur social positif et qui est regardé comme un guet-apens. Emmanuel Macron parviendra-t-il finalement à présenter aux Français une réforme de progrès social ? pour l’instant, c’est l’inverse. La malédiction du 49.3, avec son cortège d’invectives, de préjugés et de mauvaise foi va inévitablement s’abattre sur le chef de l’Etat. Après les premières réformes du quinquennat, Jean-Luc Mélenchon avait reconnu qu’Emmanuel Macron avait marqué un point. Cette fois-ci, c’est lui qui y parvient, avec des ruses manouvrières qui rappellent François Mitterrand aux prises avec Georges Pompidou.