La soirée a fait l'effet d'une déflagration. Le césar de la meilleure réalisation, remis le 28 février à Roman Polanski, accusé de viol par plusieurs femmes, a suscité une vague de colère, illustrée par la décision de l'actrice Adèle Haenel et d'une dizaine de personnes de quitter la salle. Le lendemain, la réalisatrice Céline Sciamma, membre du collectif 50 / 50 qui milite pour la parité dans le cinéma, s'est indignée : «Ce qu'ils ont fait hier soir, c'est nous renvoyer au silence, nous imposer l'obligation de nous taire. Ils ne veulent pas entendre nos récits.» Dans le même temps, des milliers de victimes de violences sexuelles ont exprimé leur indignation, en racontant sur Twitter ce qu'elles avaient vécu sous le hashtag #JeSuisVictime.
«J'ai encore des larmes de colère qui gravissent ma gorge depuis cette fameuse soirée. Et ces mots, on en a besoin pour continuer. 17 ans, je dis non. Il me viole. Je pleure en bas de chez lui, il m'appelle pour me dire d'arrêter», a par exemple tweeté une internaute le 2 mars. «J'avais 16 ou 17 ans et j'ai mis dix ans à mettre les bons mots dessus, se souvient une autre. Dix ans à nier et à ressentir de la culpabilité. Dix ans à me taire. Je ne me tais plus. Et je ne me tairai plus jamais. On ne devrait jamais en arriver à récompenser un violeur.»
«J’avais 9 ans»
Des personnalités ont aussi pris la parole sous la bannière #JeSuisVictime, à l'image de l'actrice Nadège Beausson-Diagne, connue notamment pour son rôle dans le feuilleton Plus Belle la Vie, le 2 mars : «J'avais 9 ans. Le fiancé d'une amie de ma mère m'a violée régulièrement en me disant que c'était notre secret, de ne surtout pas le dire à ma mère. J'ai cru que j'allais mourir. Je me rappelle cette douleur. Je n'ai rien dit.» Comme beaucoup, son récit a suscité d'innombrables témoignages de soutien, saluant le courage de cette prise de parole publique sur Twitter. Beausson-Diagne a aussi raconté un second viol, commis en Centrafrique par «un réalisateur producteur» qu'elle accuse également de harcèlement, lorsqu'elle avait 30 ans. «Je ne me tairai plus jamais. J'ai retrouvé le sommeil grâce au travail psychanalytique et je serai la voix de celles qui ne peuvent pas encore parler», a-t-elle poursuivi.
Vaste enquête
«J'avais 9 ans. Il me disait que j'aimais ça et que j'étais douée. Il l'a fait dans mon lit, ma salle de bains, sa voiture, les vestiaires de l'athlé, la chambre de ses fils qui dormaient à côté de moi. C'était furtif mais ce sont les plus longs instants de ma vie», a tweeté la comédienne Andréa Bescond, réalisatrice du film les Chatouilles, lundi. Selon l'outil de veille des réseaux sociaux Visibrain, cité par l'AFP, le hashtag est devenu en six jours aussi viral que #BalanceTonPorc : 204 286 messages ont été publiés sur les réseaux sociaux avec ce mot-clé, par plus de 84 000 utilisateurs (des femmes à 67 %).
Depuis mardi, d'autres récits de viol émergent également sous le hashtag #JaiPasDitOui, lancé par le collectif féministe #NousToutes à la suite d'une vaste enquête sur le consentement menée auprès de 100 000 personnes. Il en ressort que neuf femmes sur dix ont déjà ressenti une pression pour avoir un rapport sexuel. Le collectif appelle à manifester dimanche contre les violences sexistes et sexuelles et la culture du viol, reprenant le mot d'ordre lancé par la tribune de Virginie Despentes parue lundi dans Libération : «On se lève, et on se casse.»